Proton | Histoire

1. Introduction

Au début des années 1960, Vladimir TCHELOMEÏ, le constructeur général de l'OKB-52, cherche à se placer dans le très jeune secteur spatial.

Il bénéficie du soutien quasi-inconditionnel de Nikita KHROUCHTCHEV, notamment du fait qu'il a embauché son fils Sergueï, et peut donc se permettre d'avoir de grandes ambitions. Le principal objectif est la réalisation de deux nouveaux véhicules, l'UR-200 et l'UR-500, qui se déclineraient chacun en une version lanceur et une version missile. UR signifie Universalnaïa Rakieta, c'est à dire fusée universelle.

2. Naissance de l'UR-500

Les recherches sur l'UR-500 démarrent dès le mois d'août 1961 à la filiale n°1 de l'OKB-52. C'est l'ingénieur Pavel A. IVENSEN qui se voit confier la direction des études préliminaires, avec comme objectif de réaliser un lanceur capable de mettre en orbite des charges beaucoup plus importantes que ce qui se fait actuellement.

Il cherche à réutiliser au maximum les technologies développées pour l'UR-200 et le projet de lanceur M-1 du constructeur MIASSICHTCHEV, son ancien employeur. Dès le premier stade du développement, il est décidé que la version missile aura deux étages, alors que la version lanceur en aura trois.

Au début, l'équipe d'IVENSEN envisage de constituer les deux premiers étages en assemblant quatre UR-200. Le troisième étage serait, quant à lui, un dérivé du deuxième étage de l'UR-200. Une maquette du prototype est construite, mais il apparaît rapidement qu'une telle configuration n'est pas satisfaisante et ne permettra pas de satisfaire le cahier des charges.

Fig. 1 : Vladimir TCHELOMEÏ.
Crédit : DR.

De son côté, TCHELOMEÏ réfléchit à la motorisation qu'il va utiliser pour son nouveau lanceur lourd, et pense un instant à utiliser le moteur RD-0202 (8D45) de l'OKB-154 de Semion KOSBERG, qui doit équiper le premier étage de l'UR-200. Mais pour obtenir une poussée permettant de tenir le cahier des charges, il faudrait en utiliser quinze ou seize. TCHELOMEÏ ne pense pas que le risque soit acceptable, et décide de se tourner vers l'OKB-456 de Valentin GLOUCHKO.

Quelques mois auparavant, ce dernier avait proposé à KOROLIOV d'utiliser son moteur RD-253 pour propulser le lanceur lunaire N1. Le patron de l'OKB-1 avait refusé catégoriquement car ce moteur utilise des ergols (UDMH et tétraoxyde d'azote) qui non seulement sont toxiques, mais qu'il juge de plus incapables de délivrer l'impulsion spécifique nécessaire. L'amitié entre GLOUCHKO et KOROLIOV n'avait pas survécu à ce différend, et les deux hommes sont maintenant des ennemis déclarés.

Pour arracher à KOROLIOV le monopole qu'il a dans les lanceurs spatiaux, TCHELOMEÏ entend bien profiter de ces animosités. En novembre 1961, il dépêche trois de ses ingénieurs auprès de GLOUCHKO avec pour mission de discuter d'une éventuelle coopération sur le projet UR-500 (il s'agit de D.A. POLOUKHINE, V.A. VIRODOV et G.D. DERMICHEV).

Le patron de l'OKB-456 est ravi ! En effet, le nouveau lanceur de TCHELOMEÏ va lui permettre de placer son fameux RD-253, et il pourra ainsi prouver qu'il est tout à fait indépendant de KOROLIOV.

TCHELOMEÏ est lui aussi très satisfait de la perspective d'utiliser le RD-253. Rappelons en effet que le Parti communiste n'a pas encore avalisé l'UR-500, et que toutes les études sont financées sur fonds propres. Pour faire accepter son projet, TCHELOMEÏ décide de le présenter comme avant tout militaire. Or, pour qu'un missile intercontinental ait une valeur opérationnelle, il doit pouvoir être installé sur son pas de tir dans un délai aussi bref que possible, afin de réduire les chances de le voir détruit par l'aviation ennemie. Pour satisfaire cette condition, ses moteurs doivent fonctionner avec des ergols stockables. Et c'est justement le cas de l'UDMH et du tétraoxyde d'azote qui alimentent le RD-253.

Pour ce qui est du premier étage du lanceur, deux configurations sont envisagées. La première, dite monobloc, est étudiée par BOUGAÏSKI. Elle verrait deux compartiments de même diamètre assemblés l'un au-dessus de l'autre : celui du bas renfermerait l'UDMH, et celui du haut le tétraoxyde d'azote. La seconde, dite polybloc et étudiée par RADTCHENKO, serait constituée d'un compartiment central abritant le réservoir de tétraoxyde d'azote sur lequel viendrait se greffer plusieurs petits compartiments contenant l'UDMH.

Fig. 2 : Schémas des configurations monobloc (g) et polybloc (d).
Crédit : Mark WADE.

Du point de vue de la masse, la configuration monobloc est la plus avantageuse, car plus compacte. Le lanceur ainsi assemblé a en effet une masse de 543,4t, contre 554,9t en configuration polybloc. En revanche, cette dernière option permet de limiter la longueur totale, qui est de 43m contre 54m en configuration monobloc. Ce gain largement non négligeable facilite grandement l'arrimage des étages supérieurs et confère donc au lanceur une plus grande efficacité opérationnelle. De plus, la configuration polybloc devrait être beaucoup plus stable au moment de traverser l'atmosphère à haute vitesse.

Le 15 janvier 1962, l'OKB-52 tranche et retient la configuration polybloc.

Quelques semaines plus tard, au mois de février 1962, a lieu à Pitsounda, au bord de la Mer Noire, une importante rencontre entre Nikita KHROUCHTCHEV, les responsables du Parti communiste et les constructeurs principaux chargés d'étudier de nouveaux missiles. Chacun d'eux a reçu l'autorisation d'être accompagné de deux assistants, et TCHELOMEÏ s'est naturellement tourné vers le fils de KHROUCHTCHEV afin de maximiser les chances de voir son projet retenu.

Il présente le projet non pas comme un lanceur spatial, mais bien comme un missile intercontinental, qui serait capable d'emporter des têtes nucléaires de 30Mt. Dmitri OUSTINOV, Président de la Commission militaro-industrielle (VPK) informe le premier secrétaire qu'il est vivement opposé au projet. De son côté, le ministre de l'aviation DEMENTIEV y est très favorable. KHROUCHTCHEV décide finalement de donner son approbation et demande à OUSTINOV et DEMENTIEV de préparer les documents nécessaires.

Fig. 3 : Youri TROUFANOV.
Crédit : DR.

Le Comité central du Parti communiste et le Conseil des ministres publient le 29 avril 1962 le décret n°409-183 "sur les études du lanceur UR-500". Le projet reçoit la désignation officielle 8K82, et c'est Youri TROUFANOV qui est placé à sa tête, en remplacement d'IVENSEN. Il dispose de trois ans pour mener à bien le premier vol, ce qui est un délai extrêmement court étant donné le travail qui reste à effectuer.

Dès le 15 mai 1962, l'OKB-52 publie son avant-projet. L'UR-500 permettra de placer en orbite basse des charges pouvant aller jusqu'à 12 tonnes. Le bloc central du premier étage sera équipé de quatre moteurs RD-253 non orientables, et les quatre blocs latéraux comporteront chacun un moteur orientable construit par l'OKB-154 de KOSBERG. Le deuxième étage sera une version agrandie du premier étage de l'UR-200 et en conservera les moteurs RD-0202.

Le 26 mai 1962, un décret demande au GSKB SpetsMach de commencer la construction de deux pas de tir pour l'UR-500. Ils seront installés dans la zone 81 du cosmodrome de Baïkonour et seront distants de 600m l'un de l'autre. De plus, un bâtiment d'assemblage et d'essais (MIK) sera construit dans la zone 92.

Pendant ce temps, à l'OKB-456, les ingénieurs de GLOUCHKO réalisent de nombreux essais du moteur RD-253. Ses performances se révèlent bien plus élevées que les prévisions ne le laissaient entrevoir, et la poussée qu'il développe est supérieure de 12,5% aux estimations ! Cela conduit l'OKB-52 à repenser la configuration de l'UR-500 car, du coup, les moteurs de KOSBERG s'avèrent inutiles.

Ainsi, en 1963, le nouveau concept est celui décrit sur la figure 4 : le bloc central contenant le tétraoxyde d'azote est débarrassé de ses moteurs. En revanche, les blocs latéraux, qui sont maintenant au nombre de six, comportent chacun un RD-253. Il est important de souligner que, contrairement aux apparences, ces blocs latéraux ne constituent en rien des fusées d'appoint, comme on peut le voir sur d'autres lanceurs, mais sont bel et bien partie intégrante du premier étage. En juin 1963, l'OKB-456 commence à effectuer des essais sur un ensemble de six
RD-253 reproduisant un premier étage de l'UR-500.

Fig. 4 : En juillet 1965, l'UR-500 attend son premier vol.
Crédit : DR.

Le 24 septembre 1964, le Premier secrétaire Nikita KHROUCHTCHEV visite pour la première fois le cosmodrome de Baïkonour et peut admirer une maquette de l'UR-500 installée sur le nouveau pas de de tir de la zone n°81, ainsi qu'une maquette à l'échelle 1 de la version militaire, pour laquelle il ne montre d'ailleurs que peu d'enthousiasme.

Moins de trois semaines après cette rencontre, le 14 octobre 1964, KHROUCHTCHEV est écarté du pouvoir et remplacé par Leonid BREZHNEV. Ce bouleversement politique a d'immenses conséquences pour l'OKB-52, car si KHROUCHTCHEV était l'un de ses grands supporters, il n'en est pas de même avec BREZHNEV. Un certain nombre de commissions sont mises en place pour inspecter les travaux de TCHELOMEÏ.

L'une d'elles, dirigée par l'académicien Mstislav KELDYCH, est chargée d'évaluer ses projets concernant les missiles intercontinentaux et les lanceurs spatiaux. L'UR-500 est alors très sérieusement menacé, car les militaires soviétiques sont en train de revoir leur doctrine et l'utilité de la création d'un missile de très grande capacité est de moins en moins évidente. Heureusement, KELDYCH est un grand ami de TCHELOMEÏ et apporte toute son énergie pour soutenir l'UR-500, du moins sa version spatiale.

Il faut peu de temps aux nouveaux responsables du Parti pour abandonner la version militaire de l'UR-500, et il est décidé que quatre tirs de qualifications auront lieu à partir de la mi-1965 avec des lanceurs à deux étages. Le premier exemplaire de l'UR-500 est terminé au printemps 1965 et expédié à Baïkonour, au MIK-92. Une campagne de plus de 28 000 essais et simulations a été menée à bien pour garantir le succès du premier tir, et la fiabilité du lanceur en général. De plus, l'OKB-456 a procédé à de nombreuses mises à feu du RD-253 jusqu'au mois de janvier 1965.

Pour servir de charge utile au cours des premiers vols, l'OKB-52 construit un satellite scientifique de 12t. Dénommé N-4, il est conçu sur la même structure que le futur troisième étage de l'UR-500, ce qui permettra de réaliser un maximum de mesures pour préparer l'avenir.

3. Le lanceur Proton

L'UR-500 complètement assemblé a une masse de 560t et une hauteur de 43,5m. Il fut annoncé à l'origine qu'il était capable de satelliser 12,2t en orbite basse, mais ce chiffre comprend la masse de la coiffe et de l'adaptateur de charge utile. La capacité réelle en orbite basse n'est que de 8,4t.

Le premier tir intervient le 16 juillet 1965 et se déroule normalement. L'OKB-52 avait prévu de baptiser l'UR-500 du nom de Guerkoulès, c'est-à-dire "Hercules", mais il héritera finalement du nom de sa première charge utile : Proton.

Trois autres lancements sont effectués jusqu'en juillet 1966, et l'un d'eux est un échec. Un taux de réussite de 75% est tout de même remarquable pour un nouveau lanceur, et c'est un argument suffisant pour que le nouveau pouvoir politique avalise définitivement le projet. C'est une grande victoire pour Vladimir TCHELOMEÏ qui, après KOROLIOV et YANGUEL, fait son entrée dans le monde du spatial. Proton constitue en effet la troisième famille de lanceurs de l'Union soviétique, après la R-7 et la Cosmos.

4. A la conquête de la Lune, de Mars, de Vénus...

Au cours de l'année 1964, les responsables politiques soviétiques remettent à plat la politique spatiale du pays, ce qui aboutit le 3 août 1964 à la publication d'un très important décret. Les objectifs à atteindre concernant l'exploration humaine de la Lune y sont clairement définis. Ils consistent en deux programmes distincts : l'un vise à survoler notre satellite naturel, l'autre à atterrir dessus. Le premier incombe à l'OKB-52 et à son vaisseau LK-1 qui sera lancé par la version à trois étages de l'UR-500.

Cette nouvelle version est baptisée UR-500K (8K82K), ou Proton-K, la lettre K signifiant Kosmos. Vladimir KARRASK est nommé directeur adjoint du projet.

En octobre 1964, Nikita KHROUCHTCHEV est remplacé par Leonid BREZHNEV, et TCHELOMEÏ perd ainsi son principal soutien. Sergueï KOROLIOV en profite pour essayer d'obtenir l'annulation des projets de l'OKB-52 au profit des siens. En effet, le patron de l'OKB-1 a dans ses cartons le projet de vaisseau circumlunaire 7K-L1 beaucoup plus performant que le LK-1. Il doit être lancé par une fusée dérivée de la N-1 appelée la N-2.

Les 6 et 7 septembre 1965, l'une des commissions chargée d'évaluer les travaux de TCHELOMEÏ visite les deux OKB. Il en ressort que le projet de KOROLIOV est effectivement beaucoup plus attractif.

Fig. 5 : Le lanceur Proton, surmonté du Bloc D et du vaisseau 7K-L1.
Crédit : DR.

Par conséquent, Leonid SMIRNOV, le nouveau directeur de la VPK, décide d'annuler le projet LK-1. En revanche, il juge idiot d'abandonner le lanceur UR-500 qui, de plus, a parfaitement fonctionné lors de son vol inaugural en juillet 1965. Ainsi, c'est donc le N-2 de KOROLIOV qui est annulé et, le 25 octobre 1965, un décret est publié demandant aux deux constructeurs d'unir leurs efforts pour créer le projet commun UR-500K-L1.

Comme son nom l'indique, il s'agit d'un vaisseau 7K-L1 de KOROLIOV envoyé dans l'Espace au moyen d'un lanceur UR-500K de TCHELOMEÏ. Ce compromis résulte du désir de faire une utilisation intelligente du matériel qui existe déjà où qui est en phase finale de réalisation.

Un nouveau problème se pose alors, car l'UR-500K doit être équipé d'un quatrième étage pour donner au 7K-L1 l'impulsion qui lui permettra de quitter l'orbite de la Terre. La question est : quel étage utiliser ?

Deux possibilités sont étudiées :

  1. le Bloc D de l'OKB-1, initialement destiné à servir de cinquième étage au lanceur N-1 dans le cadre du programme d'atterrissage sur la Lune,

  2. le Bloc A de l'OKB-52, conçu spécifiquement pour cet objectif.

Chacun des constructeurs principaux défend sa solution, mais en novembre 1965 un groupe de réflexion conclut qu'il vaut mieux utiliser le Bloc D de KOROLIOV.

Celui-ci permet en effet de lancer l'UR-500K selon un profil de vol plus avantageux où le troisième étage ne se met pas en orbite, mais laisse cette tâche au Bloc D. L'injection sur la trajectoire lunaire est réalisée au cours de second allumage de ce dernier. Un tel schéma donne un gain de masse d'environ 100kg pour le 7K-L1, ce qui est loin d'être négligeable.

De plus, utiliser le Bloc D pour le programme permettra également de le tester en vol avant son utilisation sur le programme d'atterrissage N1-L3. Dès le 13 décembre 1965, KOROLIOV et TCHELOMEÏ signent un document qui arrête définitivement les spécifications techniques du complexe UR-500K-L1.

L'UR-500K prend encore plus d'importance dans le programme lunaire quand à la fin de l'année 1965, il est décidé de l'utiliser pour lancer les sondes de classe E-8. D'autre part, il est important de signaler qu'en octobre 1964, TCHELOMEÏ a démarré son programme de stations spatiales militaires Almaz, qui doivent être mises en orbite par des UR-500K.

Le 14 janvier 1966, Sergueï KOROLIOV décède sur la table d'opération. Peu de temps après, au mois de mars, il est remplacé par Vassili MICHINE. L'OKB-1 devient le TsKBEM, tandis que l'OKB-52 de TCHELOMEÏ prend le nom de TsKBM.

Le 4 octobre 1966, une maquette de Proton-K et du Bloc D sont installées sur le pas de tir. L'assemblage du premier Proton-K débute le 21 novembre 1966, et le lancement a lieu le 10 mars 1967. C'est un succès total, aussi bien pour le lanceur que pour le Bloc D. En revanche, lors du second tir, le 8 avril 1967, l'étage supérieur ne fonctionne pas et l'injection sur une trajectoire lunaire échoue.

Ensuite, de nombreux lancements ont lieu, principalement pour les besoins du programme lunaire. Proton-K et le Bloc D lancent les vaisseaux 7K-L1, les sondes E-8 à destination de la Lune, et deux M-69 en direction de Mars. De plus, en novembre 1968, un UR-500K est lancé sans Bloc D pour placer en orbite un gros satellite de classe N-4, ceux-là même qui étaient embarqués sur les premiers vols de la version à deux étages de l'UR-500.

Un accident tragique survient le 15 juillet 1968, quand un Bloc D explose sur le pas de tir lors des préparatifs du lancement d'un vaisseau 7K-L1. Le capitaine I. KHRIDINE est tué, et un autre technicien est blessé. Il faudra ensuite deux semaines aux équipes de Baïkonour pour sécuriser le pas de tir.

Mais ce n'est pas le seul revers que le programme subit. En février 1970, le bilan est en effet plus que mitigé : 19 lancements de Proton-K équipé du Bloc D ont été effectués, mais seulement six ont été des succès. En mars 1970, le constructeur principal Gueorgui BABAKINE, responsable des sondes lunaires, rencontre le ministre AFANASSIEV pour lui demander d'ordonner à TCHELOMEÏ de faire le nécessaire pour augmenter la fiabilité de son lanceur.

La réaction ne se fait pas attendre : le 18 août 1970, le TsKBM procède à un tir balistique de l'UR-500K afin de prendre de nombreuses mesures. Les lancements reprennent moins d'un mois après cet essai de requalification, et les échecs deviennent très rares, montrant que TCHELOMEÏ a su apporter les modifications nécessaires à son lanceur. En 1971, un Proton-K met en orbite la première station spatiale de l'Histoire : Saliout.

Fig. 6 : Le lanceur Proton-K et la station Saliout.
Crédit : DR.

C'est à peu près à cette époque que le TsKBEM lance le développement d'une version modernisée du Bloc D, le Bloc DM, dont le premier vol a lieu en mars 1974. Cet étage permet de lancer les satellites militaires Radouga, Ekran, puis Gorizont.

En mai 1974, le secteur spatial subit une grande réorganisation. Le TsKBEM devient la NPO Energuia, et c'est Valentin GLOUCHKO qui est placé à sa tête.

En 1976, une nouvelle version du Bloc D fait son apparition : il s'agit du Bloc D-1. Il sera utilisé pour des missions scientifiques, principalement pour les sondes Venera à destination de la planète Vénus.

En juin 1981, la filiale n°1 du TsKBM est rattachée à la NPO Energuia et prend le nom de KB Saliout. Ironie de l'Histoire, le lanceur Proton passe sous la responsabilité de l'héritier du bureau d'études de KOROLIOV, lui-même dirigé par GLOUCHKO.

Un an plus tard, en octobre 1982, le Bloc DM est encore modernisé et devient le Bloc DM-2. Les deux versions sont utilisées en parallèle, et la seconde lance principalement les satellites du réseau de navigation GLONASS. En 1988, pour les besoins du programme de sondes martiennes Fobos (1F), une version Bloc D-2 est développée par la NPO Energuia.

5. ... Et des marchés occidentaux !

L'apparition du Bloc DM apporte de bien plus grandes perspectives qu'une légère augmentation de la masse des charges utiles. En effet, ce nouvel étage de la NPO Energuia possède l'immense avantage d'être réallumable en vol. Cette capacité permet de viser l'orbite de transfert géostationnaire, et donc de se faire une place sur le marché hautement lucratif des satellites de télécommunications commerciaux. L'entrée en service en 1982 du Bloc DM-2 ajoute encore à la compétitivité de Proton-K, car cette version possède son propre système de navigation, alors que les précédentes dépendaient pour leur guidage du système de leur charge utile.

Ainsi, dès 1983, l'Union soviétique propose officiellement son lanceur Proton-K pour lancer des satellites sur une base commerciale. A cette époque, ce marché est encore quasi-inexistant, et c'est l'Européen Arianespace qui a le monopole.

A partir de décembre 1987, le KB Energomach (ex-OKB-456) débute un programme de modernisation du moteur RD-253, qui prend le nom RD-275. Les études sont achevées le 14 septembre 1990, et le nouveau moteur entrera en service en octobre 1995.

En 1989, le KB Saliout quitte la NPO Energuia pour devenir une entreprise indépendante. Ensuite, en 1993, il fusionne avec son usine de Khrounitchev pour former le GKNPTs Khrounitchev. Entre temps, l'Union soviétique s'est effondrée et le communisme a laissé la place à l'économie de marché. Dans ce nouveau contexte, le GKNPTs Khrounitchev et la NPO Energuia s'allient à l'Américain Lockheed pour former la société LKEI, qui va commercialiser le lanceur Proton-K et son Bloc DM-2. D'ailleurs, l'année suivante, en 1994, la NPO Energuia introduit une version encore améliorée de l'étage supérieur, appelée Bloc DM-2M.

Fig. 7 : Premier vol commercial de Proton-K.
Crédit : DR.

Au début de l'année 1995, Khrounitchev entame des négociations avec le Français Aérospatiale en vue d'implanter le lanceur Proton au Centre Spatial Guyanais. La France donne son accord de principe, mais le projet ne connaît pas de suite. En effet, Proton ferait une trop rude concurrence au futur lanceur Ariane 5 s'il était lancé de Kourou. Les Russes envisagent également d'implanter un pas de tir Proton au Cap York, en Australie, mais ce projet connaît le même sort que le précédent.

Le 10 juin 1995, Khrounitchev, Energuia et Lockheed Martin profitent du Salon du Bourget pour annoncer la création de l'entreprise International Launch Services (ILS), en remplacement de LKEI, qui réunit les offres de lancements de Proton et du lanceur américain Atlas sous une même bannière. A la tête d'ILS est placé le docteur Vance COFFMAN. Les prix que propose la société russo-américaine sont très avantageux et, en 1996, pas moins de dix-neuf contrats ont déjà été signés! Le premier tir commercial intervient le 8 avril 1996. Ce jour là, un Proton-K équipé d'un Bloc DM-2M place Astra 1F sur orbite de transfert géostationnaire. C'est la première fois qu'un satellite américain prend place au sommet d'un lanceur russe.

L'année 1997 voit l'apparition d'une ultime version du Bloc DM : le Bloc DM-5. De plus, pour faciliter les lancements de charges utiles occidentales, la NPO Energuia développe, en partenariat avec le Suédois Saab, des sous-versions de ses différents étages supérieurs. Ainsi, le Bloc DM-2 peut se décliner en DM1, le Bloc DM-5 en DM2, et le Bloc DM-2M en DM3 ou DM4.

Mais le grand succès que Proton-K rencontre à l'étranger est entaché par un certain nombre d'échecs dus à des disfonctionnements des différentes versions du Bloc DM. En 1994, le GKNPTs Khrounitchev avait démarré des études sur un nouveau type d'étage supérieur dénommé Briz. Suite aux incidents rencontrés avec le Bloc DM, ILS insiste pour accélérer son développement et, en 1999, un Briz-M est monté sur un Proton-K pour un essai en vol grandeur nature. Malheureusement, le deuxième étage subit une défaillance et le tir est un échec. L'essai est réitéré en juin 2000, et cette fois tout se passe à merveille.

L'année suivante, Khrounitchev lance le dernier né de la lignée des UR-500 : le Proton-M. Son développement a été financé conjointement par l'Agence Spatiale Russe et les Forces Spatiales. S'il est équipé du Briz-M, la masse satellisable sur orbite de transfert géostationnaire dépasse les 6 tonnes, c'est à dire autant que la version de base d'Ariane 5. A partir de 2004, ILS n'utilise plus que des Proton-M pour ses tirs commerciaux. Les Proton-K et leurs Bloc DM sont encore en service pour lancer les satellites russes, notamment ceux du réseau GLONASS.

Fig. 8 : Décollage du premier Proton-M, en avril 2001.
Crédit : DR.

En 2001, la NPO Energomach (ex-KB Energomach) a démarré des études pour encore moderniser le RD-253, qui devient dorénavant le RD-275M. Les études sont achevées le 4 mai 2005 et le premier vol a lieu en juillet 2007.

6. Bilans et perspectives

Au 31 juillet 2013, Proton a été lancé à 387 reprises et a connu 41 échecs, dont 14 au cours des cinq premières années. Son taux de réussite global est de 89,41%. Le graphique suivant présente l'évolution du nombre de lancements au cours des années.

Graphique 1 : Evolution du nombre de lancements de Proton, toutes versions confondues.
Crédit : Nicolas PILLET.

La commercialisation de Proton par ILS est un succès total, et elle a permis de maintenir une cadence de tirs égale à celle des grandes heures de la Cosmonautique. Ce lanceur est en effet le seul dont l'activité n'a pas brusquement chuté lors de l'effondrement de l'Union soviétique.

Aujourd'hui, il se pose comme le principal concurrent d'Ariane 5 sur le marché de lancements de satellites commerciaux.