Proton-K | 10 novembre 1968

Le 8ème lanceur Proton-K (8K82K n°235-01), surmonté d'un étage supérieur Bloc D (11S824 n°19L), a décollé du pas de tir n°23 de la zone n°81 (8P882K) du cosmodrome de Baïkonour le 10 novembre 1968 à 19h11'31" GMT.

La charge utile était constituée du vaisseau spatial Zond-6. Les trois étages du lanceur ont fonctionné correctement et ont placé la partie haute sur une trajectoire balistique. Le Bloc D a été mis en service une première fois pour réaliser la mise sur orbite basse (188,5km x 207km x 51,24°), puis une seconde fois pour réaliser l'injection translunaire [1].

Le vaisseau Zond-6

Il s'agit d'un vol d'essai du vaisseau lunaire 7K-L1 (11F91 n°12L). Il est destiné à survoler la Lune et à revenir sur Terre.

La charge utile scientifique de Zond-6 consiste en un détecteur de radiation, un détecteur de micrométéorites et un container biologique [2].

Le vol vers la Lune

Après l'injection translunaire réalisée au moyen du Bloc D, l'antenne directionnelle ONA ne se déploie pas correctement. Comme le capteur d'horizon terrestre 101K est fixé dessus, il ne sera pas possible de l'utiliser pour l'orientation du vaisseau [1][3]. Les communications entre le centre d'Eupatorie et le vaisseau sont assurées au moyen de l'antenne omnidirectionnelle [3].

La première correction de trajectoire est réalisée avec succès le 12 novembre 1968 à 05h40'39" GMT (dt=8,5"), après que le vaisseau ait été orienté en utilisant son capteur stellaire 100K qui, pour la première fois, fonctionne correctement [3]. Zond-6 passe derrière la Lune le 14 novembre 1968 à 02h49'37" GMT et réapparaît à 03h21'11" GMT [4]. L'altitude minimale atteinte lors du survol est de 2420km [5].

Fig. 1 : Schéma du survol lunaire de Zond-6.
1. 1ère séance de photo. 2. 2nde séance de photo. 3. Périastre.
Crédit : TASS.

Lors du survol, deux séances de photographie sont réalisées. La première, à une distance de 8000km, permet de prendre des clichés de l'ensemble de la partie éclairée de la Lune. La seconde, à une distance de 2600km, a pour objectif de photographier la frontière entre la face cachée et la face visible, tout en incluant la Terre dans le cadre [5][10].

Fig. 2 : Cliché pris lors de la première séance, le 14 novembre 1968 à 01h00 GMT.
Crédit : TASS.

Fig. 3 : Cliché pris lors de la seconde séance, le 14 novembre 1968 à 02h48 GMT.
Crédit : TASS.

Après ce survol réussi, le vaisseau Zond-6 entame son trajet en direction de la Terre.

Le vol vers la Terre

Le 15 novembre 1968, le centre de contrôle d'Eupatorie constate que la température du peroxyde d'hydrogène, indispensable au fonctionnement des moteurs SIOS qui permettent d'orienter le vaisseau lors de la rentrée dans l'atmosphère, est en chute libre. Elle est passée de sa valeur nominale de 20°C à environ -5°C. Un phénomène similaire était apparu sur Zond-4 et Zond-5, mais la température avait pu être relevée en allumant les projecteurs du système de télévision. Sur Zond-6, en revanche, ces projecteurs ne sont pas présents [6].

Le 16 novembre 1968, à environ 01h00 GMT, le vaisseau est orienté de façon à ce que son réservoir de peroxyde d'hydrogène soit éclairé par le Soleil. Au bout d'une heure, cette manœuvre permet de remonter la température jusqu'au seuil de sécurité de -1°C [7].

Mais un problème plus grave apparaît au même moment : la pression dans l'habitacle de Zond-6 chute brutalement. Entre 02h13 GMT et 02h20 GMT, elle passe de 718mmHg à 610mmHg. A 03h30 GMT, elle n'est plus que de 380mmHg, et elle se stabilise à cette valeur [7]. Le 16 novembre 1968, nonobstant ces problèmes de pression, Zond-6 est orienté grâce au capteur stellaire 100K et le moteur S5.53 est mis en service à 06h40 GMT pour réaliser la deuxième correction de trajectoire. Le vaisseau est alors à 236.000km de la Terre [5].

Le retour sur Terre

Le moteur S5.53 est mis en service une troisième fois le 17 novembre 1968 à 05h36 GMT (dt=3,3") afin d'augmenter la précision de la rentrée dans l'atmosphère [5][8]. Tout se passe de façon nominale, les deux compartiments sont séparés et le Compartiment de Descente (SA) amorce sa rentrée dans l'atmosphère à 13h58 GMT [5].

Mais juste après la séparation, la pression dans le SA diminue brusquement. Elle s'était stabilisée à 380mmHg depuis la veille, mais elle chute à 25mmHg. La télémétrie est ensuite perdue, mais plusieurs radars observent le retour et confirment que le SA se dirige vers la zone d'atterrissage prévue, à 150km au nord de Baïkonour [9]. C'est la première fois au monde qu'un engin revenant de la Lune réussit une rentrée contrôlée dans l'atmosphère.

Le contact avec le SA n'est toutefois jamais retrouvé. Le 19 novembre 1968, à 03h35 GMT, un hélicoptère Mi-4 repère le parachute. L'épave du SA est localisée à 09h00 GMT, à 16km du pas de tir d'où il a décollé une semaine plus tôt [10][11].

Comme l'habitacle s'est complètement dépressurisé, une décharge électrique par effet corona a provoqué un dysfonctionnement de l'altimètre à rayons gamma. Le parachute s'est correctement ouvert à une altitude d'environ 7500m, mais l'altimètre a commandé le largage de ses suspentes à 5300m, et le SA s'est écrasé [10].

Les opérations de récupération sont extrêmement dangereuses, car la charge explosive du système d'autodestruction APO n'a pas été actionnée. Seules deux personnes sont autorisées à travailler sur le SA : V.L. ZEMSKOV du TsKBEM et un technicien de l'atelier n°439 de la ZEM. Ils démontent tous les éléments, l'un après l'autre, et finissent par extraire l'APO [10]. Cinquante-deux images de la Lune parviennent à être sauvées.

L'enquête montrera que la dépressurisation est intervenue suite à un joint défectueux au niveau de l'écoutille du SA [12].

Bibliographie

[1] KAMANINE, N., Скрытый космос, Tome 3, article du 11.11.1968
[2] ZAKOUTNIAÏA, O., Russian Space Probes, Chichester, 2011
[3] KAMANINE, Op. Cit., article du 12.11.1968
[4] KAMANINE, Op. Cit., article du 14.11.1968
[5] Dépêches TASS
[6] KAMANINE, Op. Cit., article du 15.11.1968
[7] KAMANINE, Op. Cit., article du 16.11.1968
[8] KAMANINE, Op. Cit., article du 17.11.1968
[9] KAMANINE, Op. Cit., article du 18.11.1968
[10] SEMIONOV, Y., РКК Энергия 1946-1996, pp. 245-246
[11] KAMANINE, Op. Cit., article du 19.11.1968
[12] TCHERTOK, B., Ракеты и люди, Vol. 4


Dernière mise à jour : 25 août 2018