Soyouz | Origine et développement

1. L'URSS veut un vaisseau lunaire

A la fin des années 1950, le Bureau d'Etudes Expérimentales n°1 (OKB-1) a de quoi se réjouir. Il a ouvert l'ère spatiale en 1957 en envoyant sur orbite le premier Satellite Artificiel de la Terre, puis les premières sondes lunaires, et les cartons regorgent de projets. Le but ultime est alors d'envoyer un Homme sur Mars.

Deux étapes logiques sont identifiées afin d'atteindre cet objectif dans un temps raisonnable. Il faudra tout d'abord apprendre à envoyer des Hommes sur orbite terrestre, puis sur orbite lunaire. Des équipes planchent déjà sur le projet Vostok (3K) qui devrait permettre de réaliser la première étape. Mais quid du survol lunaire ?

Fig. 1.1 : Vostok, le premier vaisseau habité de l'Histoire.
Musée National d'Histoire de la Cosmonautique. Crédit : Nicolas PILLET.

Il est évident qu'une telle mission demandera un vaisseau beaucoup plus lourd que Vostok, mais le lanceur le plus performant que l'OKB-1 a dans ses cartons est le Molnia (8K78), capable d'envoyer environ une tonne et demie vers la Lune.

Il faut donc trouver une autre solution, et le concept de l'amarrage sur orbite apparaît. Plutôt que d'envoyer le vaisseau en une seule fois avec un énorme lanceur, on le construira de façon modulaire de manière à pouvoir utiliser plusieurs lanceurs de classe moyenne. Les différentes parties se rencontreront sur orbite et partiront ensuite pour la Lune.

En 1960, alors qu'à l'OKB-1 de Sergueï KOROLIOV le développement du Vostok va bon train, on pense déjà à son successeur. Un rapport est rédigé pour montrer que rendez-vous et amarrage sur orbite terrestre sont deux objectifs tout à fait réalisables d'ici quelques années.

2. Le projet Sever

Deux avant-projets de vaisseaux sont à l'étude depuis la fin des années 1950 : le Sever (5K) et le 1L. Deux Départements de l'OKB-1, le n°9 de TIKHONRAVOV et le n°11 de ROCHTCHINE, apportent leurs idées pour améliorer les deux concepts. BOUCHOUÏEV et KRIOUKOV, les adjoints de KOROLIOV, supervisent les travaux.

Fig. 2.1 : Mikhaïl Klavdievitch TIKHONRAVOV.
Crédit : DR.

Quel profil de rentrée adopter ? Quelle forme doit avoir la capsule ? Quelle technologie utiliser pour l'atterrissage ? Comment effectuer un rendez-vous en orbite ? Combien de module devra compter le vaisseau ? Autant de dilemmes qui donnent du fil à retordre aux ingénieurs.

Concernant le mode de retour sur Terre, l'idée des ailes, soutenue par TIKHONRAVOV, est vite abandonnée car elle entraînerait une masse bien trop importante et l'utilisation de matériaux encore très mal connus. Le profil de rentrée balistique est lui aussi rejeté car il imposerait trop d'efforts à la structure de l'engin.

Le concept retenu est celui d'une rentrée guidée. Ici, à l'inverse d'une rentrée strictement balistique où la capsule se laisserait tomber, on l'oriente constamment de manière à ce que sa partie avant génère une portance. Le vaisseau et son équipage subissent ainsi une charge beaucoup plus supportable. Mais quelle forme devra avoir la capsule ? L'OKB-1 s'associe au NII-88, au NII-1 et au TsAGI et conclut que le profil le plus apte à supporter les contraintes de la rentrée est une sphère segmentée avec un centre de gravité excentré.

L'atterrissage, quant à lui, devra impérativement avoir lieu sur le sol soviétique, et le retour sur l'eau est exclu. Les vaisseaux Vostok se poseront grâce à un parachute, mais le contact avec le sol sera si violent que le pilote devra s'éjecter avant. Plusieurs organisations se lancent dans la réflexion, chacune ayant sa solution :

Organisation Solution proposée
OKB-2 Moteur fusée à ergols liquides
OKB-300 Moteurs à réaction
OKB-329 Rotor subsonique
Académie Mozhaïski Rotor hypersonique
Usine 81 Moteur fusée à ergols solides
NII RP Ballons gonflables
NIEI PDS Parachute contrôlé
Usine Zvezda Système d'éjection (en réserve)
Tableau 2.1 : Liste des différentes solutions envisagées pour l'atterrissage.

Le Département n°11 de l'OKB-1 propose quant à lui une solution hybride utilisant des parachutes et un moteur à ergols solides pour freiner la capsule au dernier moment.

Fig. 2.2 : Maquette d'un Compartiment de Descente Soyouz
muni d'un rotor et de pattes d'atterrissage.
Musée historique de Koroliov. Crédit : Nicolas PILLET.

Alors que la configuration même du futur vaisseau n'est même pas encore gelée, le département n°27 de l'OKB-1, dirigé par Boris RAOUCHENBAKH, commence à réfléchir à la question du rendez-vous en orbite terrestre. Le problème est scindé en deux phases : l'approche à grande distance et l'approche finale.

La première ne semble pas poser trop de difficultés, car la précision actuelle des lanceurs permet d'amener deux vaisseaux spatiaux dans un volume de 25km x 15km x 15km. L'approche finale est beaucoup plus complexe et nécessite un radar embarqué. Quatre bureaux d'études reçoivent un appel d'offres : le TsNII-108, le TsKB Gueofizika, le NII-648 et l'OKB MEI.

Au début de l'année 1962, la configuration des deux avant-projets Sever et 1L est arrêtée. Le Sever reprend beaucoup du vaisseau Vostok. Il est composé d'un compartiment des instruments cylindrique surmonté d'un compartiment de descente, le seul qui est capable de revenir sur Terre (fig. 5). Le département n°11 a perfectionné la forme de ce dernier en lui donnant un profil de sphère segmentée asymétrique, qui lui donne une allure de phare de voiture.

Fig. 2.3 : Schéma du projet de vaisseau Sever.
Crédit : A. CHLIADINSKI.

Tous les appareils destinés à assurer le rendez-vous orbital sont abrités par le compartiment des instruments. Les cosmonautes et les systèmes nécessaires à leur survie sont situés dans le compartiment de descente.

Avec cette configuration, le Sever n'est pas capable de voler vers la Lune, et c'est là qu'intervient l'autre projet, le 1L. Il comprend lui aussi un compartiment des instruments et un compartiment de descente mais, comme un voyage lunaire implique une durée de vol plus grande, possède aussi un Compartiment de Vie.

Fig. 2.4 : Schéma du projet de vaisseau 1L.
Crédit : Igor AFANASSIEV.

Le département n°9 est opposé à cette idée et préconise de s'en tenir à une configuration classique à deux compartiments, comme pour le Sever. Mais la direction de  l'OKB-1 décide finalement de retenir la solution à trois compartiments.

Le lanceur envisagé pour placer en orbite les vaisseaux Sever et 1L est le 8K711. Il s'agit d'un Vostok (8K72) surmonté d'un étage supplémentaire.

Fig. 2.5 : Le lanceur 8K72, qui servira de base au 8K711.
Musée National d'Histoire de la Cosmonautique. Crédit : Nicolas PILLET.

Le 1L possédera une paire de panneaux solaires qui permettront d'augmenter considérablement la puissance disponible à bord. Le 26 janvier 1962, Sergueï KOROLIOV propose la création d'un train lunaire dont l'élément pivot serait le 1L. Le projet est entériné le 10 mars 1962 et il est baptisé Soyouz ( ce qui signifie « union », en référence à l'Union soviétique).

Le Parti communiste examine le projet mais, comme le Sever n'est pas indispensable au complexe spatial, il est purement et simplement abandonné. La perspective du vol lunaire ne suscite qu'un intérêt limité mais, le 16 avril 1962, un décret autorise le démarrage du projet Soyouz.

3. Le développement du vaisseau Soyouz

L'OKB-1 se lance alors dans la conception d'un nouveau vaisseau spatial appelé 7K qui reprendra les concepts qui avaient été développés pour les avant-projets Sever et 1L. Ainsi, la configuration à trois modules et la capsule de rentrée en forme de phare automobile sont conservées. Un équipage de deux cosmonautes devra pouvoir y prendre place, et des débats font rage quant à sa taille.

Certains ingénieurs avaient prévu de lui donner un diamètre de 2,2m (2,3m en comptant la protection thermique), mais Konstantin FEOKTISTOV insiste pour la réduire à 2m afin de réduire sa masse. Sergueï KOROLIOV et bien d'autres ne sont pas d'accord, car ils pensent que cela serait beaucoup trop inconfortable pour les cosmonautes. Au cours d'une réunion, le constructeur principal définit sur le sol une zone de 2m et demande à l'un des ingénieurs partisans de la réduction d'y passer le reste de la réunion.

Fig. 3.1 : Sergueï KOROLIOV et Konstantin FEOKTISTOV.
Crédit : DR.

Malgré cette expérience, l'ingénieur en question maintient son opinion et il aura finalement raison : le diamètre de la base du Compartiment de Descente est fixé à deux mètres. En août 1962, KOROLIOV pense pouvoir faire voler le premier Soyouz dès le mois de mai 1963, ce qui est un objectif extrêmement ambitieux.

Le Conseil des Ministres se réunit le 16 novembre 1962 et aborde les questions spatiales. Il est convenu qu'il vaut mieux ne pas perdre de temps en poursuivant le programme Vostok, et qu'il est préférable de se lancer dans le projet Soyouz. Le problème, c'est que les vols seront interrompus pendant près de deux ans, et que cela permettra aux Etats-Unis de prendre de l'avance dans la « course à l'Espace ».

Mais tout le monde en URSS ne partage pas ce point de vue. Le 6 décembre 1962, la très puissante Académie des Sciences recommande d'effectuer au cours des années 1963 et 1964 pas moins de douze vols Vostok et de quatre à six vols Soyouz simultanément. Sur le plan technique, tout ne se passe pas comme prévu du côté du système d'amarrage, dont la réalisation s'avère particulièrement complexe.

En décembre 1962, KOROLIOV remet aux autorités son rapport d'avant-projet concernant le programme Soyouz. Afin de s'attirer les faveurs des militaires, il y a inclut des versions militaires Soyouz-P et Soyouz-R, respectivement pour la reconnaissance et l'interception. L'avant-projet du vaisseau 7K est entériné le 24 décembre 1962. Le complexe utilisé comprendra un vaisseau 7K, un étage de propulsion 9K et un étage réservoir baptisé 11K.

Fig. 3.2 : Schéma du vaisseau 7K tel qu'il est envisagé en décembre 1962.
Crédit : Творческое наследие академика С.П. Королева.

Une réunion des responsables militaires le 21 janvier 1963 valide le concept de train lunaire 7K/9K/11K. L'objectif prioritaire est de réaliser un amarrage en orbite. Le premier vol devrait intervenir au second semestre 1964, soit dans plus d'un an et demi.

KOROLIOV insiste pour ne pas utiliser de scaphandres car il pense que les systèmes du vaisseau seront suffisants pour assurer la sécurité de l'équipage. Il signe la version finale du projet Soyouz le 7 mars 1963. Deux semaines plus tard, le 21 mars, les constructeurs principaux se réunissent pour échanger leurs points de vue. TCHELOMEÏ, GLOUCHKO et KELDYCH apportent leur soutien à KOROLIOV.

Mais ces projets ne convainquent ni les militaires, ni les collègues de KOROLIOV à l'OKB-1. Tout le monde pense en effet que les vaisseaux Vostok ont encore un grand potentiel et qu'ils doivent continuer à être exploités pour de nouvelles missions. De plus, il ne faut pas interrompre le rythme des vols pour ne pas permettre aux Américains de prendre de l'avance.

A la fin 1963, ce sont ainsi quatre missions Vostok qui sont projetées, la dernière devant intervenir juste avant le premier vol du Soyouz. Mais le financement de ce dernier est beaucoup trop faible, et les travaux n'avancent pas. Le Parti communiste et le Conseil des Ministres ne se décident à publier un décret entérinant le programme de train lunaire 7K/9K/11K que le 3 décembre 1963.

Dès le lendemain, la Commission Militaro-industrielle (VPK) publie un document qui fixe le calendrier du programme Soyouz. Un premier vaisseau sera lancé en août 1964, et deux autres suivront en septembre 1964. Dans son journal, le général KAMANINE écrit :

Ainsi, pour satisfaire les décisions du Gouvernement, l'OKB-1 devra construire sept vaisseaux spatiaux d'ici septembre 1964 : quatre Vostok et trois Soyouz (...).

Au cours des prochains jours, nous allons devoir faire un choix : insister dans la construction d'une nouvelle série de Vostok, ou y renoncer et s'orienter vers les Soyouz.

Le Premier Secrétaire du Parti communiste, Nikita KHROUCHTCHEV, téléphone personnellement à KOROLIOV le 4 février 1964 pour lui ordonner de stopper tous les travaux sur les Vostok et de procéder au lancement d'un vaisseau piloté par non pas deux, mais trois cosmonautes, et ce avant que les Américains ne mettent leur Gemini sur orbite.

Les ingénieurs modifient les plans du Soyouz pour qu'il emmène un cosmonaute supplémentaire, mais les travaux sur ce programme sont mis de côté. C'est le début du programme Voskhod. Certains historiens n'hésiteront pas à écrire que l'Union soviétique vient de commettre sa plus grosse erreur dans le domaine spatial. Ce ne sont pas moins de deux années qui vont être perdues à bricoler un vaisseau Vostok pour lui permettre d'emmener trois cosmonautes et d'effectuer une sortie dans l'Espace.

Quoi qu'il en soit, les études concernant Soyouz se poursuivent bon an, mal an. En février 1964, un simulateur est installé au TsNII-30 afin de permettre aux cosmonautes de s'entraîner aux techniques d'amarrage en orbite.

4. L'abandon du projet Soyouz

Un nouveau coup dur pour le programme arrive avec le décret du 3 août 1964, qui confie la mission de survol lunaire au vaisseau LK-1 de l'OKB-52 de TCHELOMEÏ. Le train lunaire 7K/9K/11K, qui était jusque là la raison d'être de Soyouz, est de facto abandonné.

A l'OKB-1, KOROLIOV met sur pieds un groupe de réflexion dirigé par Boris TCHERTOK dont la tâche est de déterminer de nouveaux objectifs pour le Soyouz. Les ingénieurs concluent que le but prioritaire à atteindre reste l'amarrage sur orbite. Le nouveau projet lunaire N1-L3 inclut dans son plan de vol l'amarrage de deux vaisseaux et le transfert des cosmonautes de l'un à l'autre en passant par l'extérieur. Le Soyouz pourrait servir à valider ce concept.

Les études se poursuivent donc, et le 26 septembre 1964, une fusée R-5V tente d'emmener une maquette du Compartiment de Descente sur une trajectoire suborbitale, afin d'en vérifier le comportement. Mais la coiffe de la fusée se brise entre H0+33" et H0+39" et l'essai est un échec.

En octobre 1964, KOMAROV, FEOKTISTOV et EGOROV décollent à bord de Voskhod. Le monde entier pense alors que l'Union soviétique a développé un vaisseau entièrement nouveau, largement supérieur à ce que peuvent faire les Américains.

Fig. 14 : Les trois cosmonautes de Voskhod à Baïkonour.
Crédit : DR.

A leur retour sur Terre, les cosmonautes apprennent que Nikita KHROUCHTCHEV a été limogé pendant leur séjour spatial, et que c'est maintenant Leonid BREZHNEV qui est au pouvoir. Ce changement de gouvernement aura de très fortes conséquences sur le déroulement des activités spatiales soviétiques.

KOROLIOV présente ses nouveaux projets concernant son Soyouz en février 1965. Maintenant que le vaisseau n'est plus destiné à voler en orbite lunaire, mais terrestre, il pourra servir à mettre au point les techniques de sorties dans l'Espace et, surtout, de rendez-vous et d'amarrage.

Le Comité National pour les Technologies de Défense (GKOT) accepte le projet. En effet, il est non seulement très prometteur, mais sa conception est déjà bien avancée, des éléments ont déjà été construits et son lanceur existe.

Le « nouveau » vaisseau est baptisé 7K-OK (OK signifie Орбитальный Корабль, vaisseau orbital). Sa désignation officielle est 11F615. Il est toujours constitué de trois modules : un Compartiment des Machines et des Instruments (PAO), un Compartiment de Descente (SA) en forme de phare et un Compartiment de Vie (BO) placé à l'avant. Sa longueur avoisine les 7,5m et sa masse se situe autour de 6,5t. Il pourra emmener trois cosmonautes pour des missions pouvant durer jusqu'à dix jours.

Fig. 15 : Schéma du vaisseau 7K-OK « Soyouz ».
Crédit : DR.

Le lanceur utilisé sera un nouveau dérivé du missile R-7, baptisée 11A511 ou Soyouz (ce qui prête d'ailleurs à confusion). La coiffe sera surmontée d'une tour d'éjection qui permettra de sauver le vaisseau et l'équipage en cas d'accident au lancement.

En mars 1965, un second Voskhod est lancé et permet à Alekseï LEONOV de devenir le premier cosmonaute du monde à effectuer une sortie dans l'Espace. Une fois encore, le prestige de l'Union soviétique est immense. Le premier vaisseau Gemini décolle de Floride moins d'une semaine après cette mission. Puis, en juin 1965, l'astronaute américain Edward WHITE sort à son tour dans l'Espace.

Fig. 16 : LEONOV et WHITE lors de leurs sorties respectives, en 1965.
Crédit : DR.

Les premiers plans du 7K-OK sont présentés en mai 1965. Un mois plus tard, en juin 1965, l'OKB-1 présente à l'Usine Zvezda le cahier des charges pour le scaphandre Yastreb que porteront les cosmonautes de Soyouz pour sortir dans l'Espace.

Le décret n°180 de la VPK qui ordonne le début des travaux sur le projet Soyouz est signé le 18 août 1965. Le document précise le calendrier qui devra être suivi :

- production de deux premiers vaisseaux au 4ème trimestre 1965
- production de deux vaisseaux supplémentaires au 1er trimestre 1966
- production de trois vaisseaux supplémentaires aux 3ème et 4ème trimestres 1966
- les largages atmosphériques et les essais en mer devront être terminés fin 1965
- le premier amarrage de deux vaisseaux inhabités devra avoir lieu au 1er trimestre 1966

un autre document daté du 18 août 1965 commande officiellement le scaphandre Yastreb à l'Usine Zvezda, dirigée par Gaï SEVERINE.

Pendant ce temps, des essais du système d'atterrissage sont menés à bien à Feodosia, en Crimée. Les Forces aériennes sont censées fournir certains matériels à l'OKB-1, comme un hélicoptère Mi-6 ou des fusées-sondes, mais KOROLIOV n'est pas du tout content (il n'a jamais vu la couleur du Mi-6) et en réfère à KAMANINE. Ce dernier contacte à son tour l'homme responsable de l'aide à l'OKB-1, FINOGUENOV, qui lui répond : « si KOROLIOV n'est pas satisfait de nos infrastructures, il n'a qu'à conduire ses essais ailleurs ! »

De gros problèmes sont révélés concernant le développement du système d'amarrage Igla. Fin novembre 1965, c'est TCHERTOK qui annonce à KOROLIOV que le système ne sera pas prêt avant au moins un an. Le constructeur principal s'énerve : « J'ai fait stopper tous les travaux sur Voskhod pour que le personnel soit complètement concentré sur Soyouz ! Je n'accepterai pas que le calendrier soit repoussé d'une seule journée supplémentaire ! »

Le 15 décembre 1965, les Etats-Unis réalisent un exploit : les vaisseaux Gemini VI-A et Gemini VII se rencontrent dans l'Espace, volent en formation pendant vingt heures et s'approchent jusqu'à moins de trente centimètres.

Fig. 17 : Gemini VI et Gemini VII se rencontrent en orbite.
Crédit : DR.

Début janvier 1966, le nouveau Ministère des Machines Générales (MOM), créé quelques mois plus tôt pour coordonner les activités spatiales, ambitionne de lancer cinq Soyouz au cours de l'année.

Le 14 janvier 1966, Sergueï KOROLIOV décède sur la table d'opération. Deux mois plus tard, le vaisseau américain Gemini VIII réussit à s'amarrer au véhicule inhabité Agena. En mai, Vassili MICHINE est nommé à la tête de l'OKB-1, qui est au passage rebaptisé TsKBEM.

Fig. 18 : Funérailles de Sergueï KOROLIOV, à Moscou.
Crédit : DR.

Les plans sont toujours extrêmement optimistes et le premier vol de Soyouz est programmé pour le mois d'août. Pour atteindre cet objectif, tout le monde travaille d'arrache-pied. Les essais statiques et dynamiques se succèdent à un rythme effréné. La séparation des compartiments, de la coiffe, le comportement thermique, les systèmes de survie, les moteurs, le système d'amarrage, la tour de sauvetage, le système d'atterrissage : tout est passé au crible afin de garantir une sécurité maximale dès le premier essai.

Le premier exemplaire du 7K-OK commence ses essais au sol le 12 mai 1966. De nombreux problèmes apparaissent (les ingénieurs en recensent 2123), et leur résolution prend quatre mois. Le système d'atterrissage par parachutes connaît beaucoup de difficultés : deux des sept largages effectués depuis un An-12 au-dessus de Feodosia sont des échecs.

Le 25 juillet 1966, Gaï SEVERINE, responsable de la conception du scaphandre Yastreb, informe KAMANINE que le TsKBEM a insisté pour que l'écoutille ait un diamètre de 66cm. Or, la taille minimale qu'il peut donner à son scaphandre est de 70cm. un problème se pose donc, et KAMANINE répond que même si l'écoutille peut être agrandie, ce ne sera que pour les vols ultérieurs, car modifier les exemplaires déjà assemblés prendrait trop de temps.

Le lendemain, 26 juillet, cosmonautes et responsables se rencontrent et visionnent un film tourné à bord d'un avion parabolique qui met en évidence les difficultés que pose l'étroitesse de l'écoutille. MICHINE admet l'erreur, et annonce qu'à partir du vaisseau n°5, le diamètre passera à 72cm. Mais les systèmes de survie ne devront pas être installés dans un sac à dos, mais arrangés autour de la ceinture, afin de permettre plus de manœuvrabilité.

Fig. 19 : Essai du scaphandre Yastreb dans le Tu-104.
Crédit : DR.

Une nouvelle réunion se tient le 5 août 1966 à l'Institut de Recherche en Vol du Ministère de l'Industrie Aéronautique (LII MAP, c'est là qu'est basé le Tu-104 pour les vols paraboliques). Une nouvelle dispute éclate : MICHINE refuse catégoriquement de toucher au diamètre de son écoutille, mais SEVERINE finit par accepter de modifier son scaphandre Yastreb en plaçant les systèmes de survie autour de la taille.

Au passage, les hommes des Forces aériennes et du TsKBEM décident que les deux premiers vaisseaux seront commandés par KOMAROV et BYKOVSKI.

Quelques jours plus tard, le 10 août 1966, le programme prend encore du retard. Il est en effet décidé que les deux premiers Soyouz (inhabités) ne seront lancés qu'au mois d'octobre. Les premiers vols habités interviendront, quant à eux, au premier trimestre 1967. En tout cas, les deux premiers vaisseaux sont livrés à Baïkonour en août 1966.

De nombreux problèmes de gestion sont également soulignés, et la pression politique que les ingénieurs subissent n'arrange rien. L'entraînement des cosmonautes est lui aussi rendu difficile par les retards de livraison de la chambre à vide TBK-60 et du simulateur d'amarrages Volga.

Fig. 20 : Le général Kerim KERIMOV.
Crédit : DR.

Le 30 septembre 1966, une « Commission d'Etat pour les essais en vol du vaisseau Soyouz » est mise sur pieds, dirigée par le général Kerim KERIMOV. La désignation de ce dernier reflète l'intérêt décroissant que le Kremlin porte au programme spatial, car tous les précédents présidents de Commissions d'Etat étaient des Ministres ou des Ministres adjoints.

La Commission Militaro-industrielle (VPK) se réunit le 27 octobre 1966 pour discuter du calendrier du programme Soyouz. Les personnes présentes s'accordent à dire qu'étant donné le degré de préparation des matériels de vol, le lancement du premier vaisseau ne pourra pas avoir lieu avant le 20 novembre.

Le premier vol habité, quant à lui, ne sera envisageable qu'à partir du 10 janvier 1967. OUSTINOV demande quand même que tout soit mis en œuvre pour être prêt à l'effectuer dès le 20 décembre 1966. Rappelons qu'à ce stade, aucun cosmonaute n'a encore été désigné pour les postes d'ingénieur de bord. Un problème d'entraînement va donc se poser.