Proton-K | 14 juillet 1968

Le lanceur Proton-K (8K82K n°233-01), surmonté d'un étage supérieur Bloc D (11S824 n°16L), devait décoller du pas de tir n°23 de la zone n°81 (8P882K) du cosmodrome de Baïkonour le 19 juillet 1968 [3].

La charge utile était constituée d'un vaisseau 7K-L1 (11F91 n°8L), destiné à réaliser un survol de la Lune et à revenir sur Terre.

L'accident

Le 14 juillet 1968, à 07h00 (locale), le lanceur quitte le MIK-92-1. L'installation sur le pas de tir n°23 commence à 08h30. Quand le lanceur est redressé, les passerelles de la tour de service sont déployées autour de lui. Une équipe technique se rend au sommet de la tour pour configurer le système de conditionnement thermique [4].

A 10h20, les techniciens qui sont encore à la base de la tour entendent une forte détonation, suivie du choc provoqué par la chute du vaisseau 7K-L1 contre la tour. Ils voient aussi plusieurs morceaux de métal tomber du haut de la tour sur le sol [4].

Le vaisseau risque lui aussi de tomber. Comme il est déjà rempli avec deux tonnes de peroxyde d'azote et 150kg de peroxyde d'hydrogène, il pourrait provoquer la destruction de l'ensemble du pas de tir. Tous les techniciens présents sur la tour évacuent rapidement. Une ambulance arrive sur les lieux, et une équipe monte au niveau 7 où elle trouve le corps du capitaine-ingénieur Ivan Fenoguenovitch KHRIDINE, qui dirigeait l'inspection du lanceur [4]. Un autre technicien, le major V.F. BLOKHINE, est grièvement blessé [2].

L'évacuation du vaisseau endommagé

Quelques instants après l'explosion, le commandant du cosmodrome A.M. VOÏTENKO arrive au pied du pas de tir. Il est accompagné de A.S. KIRILLOV, son adjoint pour les activités spatiales, de V.S. PATROUCHEV, le commandant de la 1ère IU, son adjoint V.A. BOULOULOUKOV, le constructeur général du TsKBEM Vassili MICHINE et son adjoint E.V. CHABAROV [4].

La situation est la suivante : le réservoir d'oxygène du Bloc D a explosé, et le vaisseau 7K-L1 qui était arrimé dessus a chuté de plusieurs mètres en emportant une partie de la coiffe. L'ensemble du complexe est approvisionné de la façon suivante [2] :

- 5t de kérosène dans le réservoir du Bloc D,
- 1,5t d'ergols solides dans la tour d'éjection du SAS,
- 1,5t d'ergols dans les réservoirs du 7K-L1,
- 30kg de peroxyde d'hydrogène dans le réservoir du 7K-L1,
- 25kg d'explosifs dans le système d'autodestruction APO du 7K-L1,
- 4,5L de triéthylaluminium dans le réservoir du Bloc D.

Par ailleurs, l'ensemble possède environ 150 boulons explosifs dont la plupart sont déjà armés, et les panneaux solaires du 7K-L1 sont sous tension. L'explosion du réservoir d'oxygène du Bloc D aurait pu provoquer l'explosion de l'ensemble, ce qui aurait tué environ 150 personnes, mais ce ne fut heureusement pas le cas [2].

La première priorité est de vidanger le réservoir de peroxyde d'hydrogène du 7K-L1, particulièrement dangereux. A 14h00, une équipe d'ergoliers arrive de la zone 31 et commence l'opération, qui se terminé à 17h00 [4].

Une commission exceptionnelle est créée sous la direction du Ministre Sergueï AFANASSIEV. Elle fixe comme priorité de sauver le lanceur et le pas de tir [2]. Il va donc falloir tout d'abord évacuer la partie haute, constituée du Bloc D, du 7K-L1, de la coiffe et de la tour d'éjection. Sur place, les opérations seront dirigées par le Ministre adjoint Gueorgui TIOULINE, qui arrive à Baïkonour le 15 juillet 1968 [2][4].

Une équipe de l'entreprise de construction Stalkonstrouktsia est dépêchée à Baïkonour pour installer une grue munie de deux treuils au sommet de la tour de service. D'autres équipes se chargent de déconnecter les batteries, les panneaux solaires, les boulons explosifs et la tour d'éjection. Le futur cosmonaute Valeri RIOUMINE fait d'ailleurs partie de ces équipes [2].

Un technicien, V.P. LAMECHINE, est gravement blessé quand un coup de vent violent lui renvoie un objet métallique alors qu'il tente de découper la coiffe. Malgré tous ces efforts, en revanche, il n'est pas possible de vidanger les réservoirs du système de propulsion du 7K-L1. Tous les autres fluides sont évacués avec succès [2].

Finalement, la partie haute est hissée avec succès et évacuée du pas de tir. Le lanceur est ensuite ramené au MIK, et la crise est terminée. Les opérations de démantèlement auront duré environ vingt jours [4].

Le capitaine KHRIDINE devait être enterré à Leninsk, près des victimes des accidents du 24 octobre 1960 et du 24 octobre 1963, mais sa famille a préféré l'enterrer à Alma-Ata [4].

Le lanceur Proton-K n°233-01 a finalement été utilisé le 2 avril 1969 pour lancer une sonde martienne M-69, mais le lancement fut un échec. Le vaisseau 7K-L1 n°8 et le Bloc D n°16L n'ont jamais pu être requalifiés.

Les causes de l'explosion

Le Bloc D est muni d'une vanne de vidange appelée DPK (Дренажно-Предохранительный Клапан) qui permet de purger l'oxygène liquide en cas de besoin. Afin d'éviter toute ouverture accidentelle de la DPK, le TsKBEM a ajouté un capot de protection, dix fois plus résistant que les parois du réservoir elles-mêmes [5].

Suite à une mauvaise coordination entre l'OKB-1 (constructeur du Bloc D) et l'OKB-52 (constructeur du lanceur Proton-K), les ingénieurs n'ont pas pris en compte un élément important des procédures de préparation au lancement. Quand le lanceur Proton-K est installé sur le pas de tir, des tuyauteries d'hélium sont automatiquement connectées et pressurisent le réservoir d'oxygène du Bloc D. La vanne DPK permet de prévenir toute surpression. Mais avec son capot en place, elle ne pouvait pas remplir cette fonction, et la pression dans le réservoir a augmenté jusqu'à 210atm, pour une valeur normale de 47atm [1][5].

Bibliographie

[1] YASSIOUKEVITCH, V., 19 ОИИЧ - История, воспоминания ветеранов, Youbilieïnyi, 2004, p. 101
[2] SEMIONOV, Y., РКК Энергия 1946-1996, p. 242
[3] KAMANINE, N., Скрытый космос, Tome 3, article du 28.06.1968
[4] EVTIEÏEV, I., Еще поднималось пламия, Moscou, 1997, pp. 158-160
[5] ZAVALICHINE, A., Развитие левого крыла космодрома Байконур, in PERMINOV, A., Байконуру - 50, История космодрома в воспоминаниях ветеранов, Moscou, 2005, pp. 418-421


Dernière mise à jour : 16 août 2018