Tsiklone | Histoire

1. Naissance du missile R-16

L'histoire des lanceurs Tsiklone commence dans les années 1950, alors même que le premier Spoutnik n'a pas encore été mis en orbite.

A cette époque, missiles et lanceurs sont intimement liés. Ils ne représentent même qu'un seul grand secteur d'activité placé sous le contrôle des Forces armées. Deux bureaux d'études se livrent concurrence : l'OKB-1 de Sergueï KOROLIOV et l'OKB-586 de Mikhaïl YANGUEL.

Fig. 1 : Sergueï KOROLIOV et Mikhaïl YANGUEL.
Crédit : DR.

De son côté, KOROLIOV ne s'intéresse pas aux questions de Défense : son but est d'explorer l'Espace. YANGUEL, en revanche, veut construire des fusées, peu importe si elles sont utilisées comme des missiles ou comme des lanceurs spatiaux.

Fig. 3 : Schéma du futur missile R-7.
Crédit : RKK Energuia.

En 1956, KOROLIOV propose au Parti communiste de construire la R-7. Ce sera un véhicule révolutionnaire capable de frapper les Etats-Unis, mais aussi de mettre des satellites sur orbite. En d'autres termes, ce sera à la fois le premier missile balistique intercontinental (ICBM) et le premier lanceur spatial.

Fig. 4 : Schéma du missile R-16.
Crédit : Ракетный щит отечества.

Mais la R-7 fonctionne avec des ergols cryotechniques. Cela lui confère de très bonnes performances énergétiques, faisant d'elle un parfait outil pour lancer des satellites. Mais ce types d'ergols est extrêmement difficile à stocker, du fait de ses très basses températures, ce qui pose problème pour une utilisation militaire.

En effet, quelle est la valeur stratégique d'un missile intercontinental qui demande des jours de préparation et des infrastructures détectables par n'importe quel avion espion ?

Or, il existe une autre solution : les ergols stockables. Ils sont moins performants et extrêmement toxiques, mais ils sont conservés à température ambiante. Un missile fonctionnant avec cela pourrait donc être placé en alerte dans un silo, et lancé quand le besoin s'en fait sentir.

KOROLIOV est farouchement opposé à ces projets. Selon lui, seuls les ergols cryotechniques doivent être utilisés. Mikhaïl YANGUEL sent alors qu'il y a une opportunité à saisir, et il propose aux autorités un projet d'ICBM appelé R-16, ou 8K64, utilisant des ergols stockables.

La R-7 de KOROLIOV sera réalisée, mais Nikita KHROUCHTCHEV est séduit par l'idée de YANGUEL. Le 17 décembre 1956, le Conseil des Ministres autorise l'OKB-586 à commencer des études sur un missile à ergols stockables.

En mai 1957 KOROLIOV réalise le vol inaugural de sa R-7. Cinq mois plus tard, celle-ci fait entrer l'humanité dans l'ère spatiale en plaçant Spoutnik sur orbite.

En novembre 1957, c'est à dire environ un mois après cet exploit, l'OKB-586 rend son rapport d'avant-projet sur le R-16. Il est examiné par une commission d'experts qui l'approuve en janvier 1958.

Au mois de mai 1958, KHROUCHTCHEV rencontre KOROLIOV pour lui demander son avis sur les questions de missiles intercontinentaux. Le patron de l'OKB-1 réaffirme son opposition quant à l'utilisation d'ergols stockables.

Fig. 5 : La R-7 est préparée pour le lancement du Premier Satellite Artificiel.
Crédit : DR.

Le lendemain, le Premier Secrétaire du Parti communiste appelle Valentin GLOUCHKO, le principal motoriste d'Union soviétique, qui prêche en faveur des ergols stockables. Il recommande également d'approuver les projets de YANGUEL.

Toujours indécis, KHROUCHTCHEV rencontre alors ce dernier, qui visiblement parvient à le convaincre. Avant de prendre sa décision finale, il convoque une nouvelle fois KOROLIOV. Voyant que la partie semble perdue, celui-ci propose à KHROUCHTCHEV de construire deux missiles simultanément : l'un à ergols stockables, l'autre à ergols cryotechniques mais quand même capable d'être déployé très rapidement.

Fig. 6 : Nikita KHROUCHTCHEV.
Crédit : DR.

Le Premier Secrétaire n'est pas convaincu par cette idée. KOROLIOV s'énerve, mais il est très vite rappelé à l'ordre. Ce sera le début d'un rafraîchissement des relations entre lui et KHROUCHTCHEV.

Finalement, le 28 août 1958, un décret approuve le projet R-16. C'est la première fois qu'une si haute responsabilité est fixée à un autre bureau qu'à l'OKB-1.

Le nouveau missile sera constitué de deux étages, propulsés par des moteurs construits par l'OKB-456 de Valentin GLOUCHKO.

2. Vers le premier tir

En 1958-1959, l'OKB-1 de Sergueï KOROLIOV accumule les succès, donnant à l'Union soviétique un prestige absolument sans précédent : après le premier Spoutnik sont venus la chienne Laïka, le premier laboratoire orbital et la première sonde vers la Lune.

Mais dans le domaine militaire, le missile R-7 n'est pas du tout à la hauteur des espérances. Sa valeur opérationnelle est extrêmement limitée, et tous les regards sont tournés vers l'OKB-586 de YANGUEL, qui prépare ardemment le premier tir expérimental du R-16.

A Baïkonour, en 1960, on commence la construction des infrastructures dédiées au nouveau missile. Elles sont regroupées dans les zones n°41 et 42. La première abrite les pas de tir (une version R-16U lancée d'un silo sera développée ultérieurement), et la seconde les bâtiments de soutien.

En août 1960, les différents moteurs sont livrés et commencent leurs essais au NII KhimMach de Zagorsk.

Le Conseil des Ministres nomme les membres de la Commission d'Etat qui supervisera les essais du R-16. C'est le Maréchal NEDELINE en personne qui sera à sa tête. NEDELINE est le chef des Forces de Fusées Stratégiques (RVSN), l'entité qui a la responsabilité des missiles stratégiques soviétiques.

Poste Nom Statut
Président NEDELINE M. I. Ministre adjoint de la Défense, Commandant des RVSN
Présidents adjoint GRICHINE L. A. Prés. adj. de la Commission d'Etat des techniques militaires
Présidents adjoint YANGUEL M. K. Constructeur principal de l'OKB-586
Présidents adjoint GUERTCHIK K. V. Commandant du cosmodrome de Baïkonour
Membre GLOUCHKO V. P. Constructeur principal de l'OKB-456
Membre KOUZNIETSOV V. I. Constructeur principal du NII-944
Membre KONOPLIEV B. M. Constructeur principal de l'OKB-692
Membre KAPOUSTINSKI V. I. Constructeur principal de la NKMZ
Membre KONTSEVOÏ V. A. Constructeur principal adjoint de l'OKB-586
Membre ZERNOV P. M. Ministre adj.  de la construction des machines intermédiaires
Membre NIEGUINE E. A. Constructeur principal du KB-11
Membre KOTCHERIANTS C. G. Constructeur principal adjoint du KB-11
Membre TRETIAKOV V. N. Prés. adj. du comité de construction navale
Membre STASS P. Z. Commandant du comité de radioélectricité
Membre SOKOLOV A. I. Commandant du NII-4
Membre PROKOPOV N. A. Commandant d'une direction du GURVO
Membre BOYARSKI V. V. Officier de l'Etat-major du Ministère de la Défense
Membre ILLINE G. I. Officier de l'Etat-major des RVSN
Tableau 1 : Composition de la Commission d'Etat pour les essais du missile R-16 (8K64).
En italique : les hommes tués lors de la catastrophe.

En septembre 1960, le premier missile complet est livré à Baïkonour et les techniciens commencent sa préparation dans le MIK-42. Le 3 octobre 1960, la Commission d'Etat prend note des résultats des essais au sol et fixe la date du premier tir au 23 octobre 1960.

Fig. 7 : Le Maréchal Mitrofann NEDELINE.
Crédit : DR.

Le 21 octobre, le R-16 est installé sur le pas de tir de la zone n°41. La préparation commence aussitôt et se déroule sans incident jusqu'au 23 octobre.

Chaque étage du R-16 possède deux lignes de canalisation. L'une sert à amener le carburant jusqu'à la chambre de combustion du moteur, et l'autre fait de même pour le comburant. Avant le lancement, carburant et comburant sont retenus dans leur réservoir respectif par une membrane. Cette dernière est équipée de petites charges pyrotechniques qui doivent être actionnées pour lancer l'alimentation du moteur.

Le 23 octobre 1960, les techniciens réalisent un test de la membrane de la conduite de comburant du second étage. Mais la commande est défectueuse et elle actionne la membrane de la conduite de comburant du premier étage.

Le problème, en soi, n'est pas dramatique, mais maintenant que la membrane est ouverte, le missile ne peut pas rester sur le pas de tir plus de deux jours. Quelques minutes après cet incident, une valve pyrotechnique de l'un des moteurs du premier étage s'actionne spontanément, et une alimentation électrique (appelée A-120) tombe en panne.

A 18h00 (locale), la Commission d'Etat ordonne d'interrompre la préparation le temps que les techniciens procèdent à des réparations.

Le général GUERTCHIK, Commandant du cosmodrome et Président adjoint de la Commission d'Etat, propose de vidanger le missile et de le ramener au MIK. NEDELINE refuse, et rappelle qu'en temps de guerre, on n'aurait pas le temps de procéder à de telles réparations.

Les réparations auront donc lieu sur le pas de tir. Les techniciens se voient donc travailler à quelques centimètres d'un missile de trente mètres de haut chargé de cent-trente tonnes d'ergols hautement toxiques et explosifs.

Le lancement est reporté de vingt-quatre heures. Il aura donc lieu le 24 octobre 1960. Personne ne le sait encore, mais cette date restera connue comme la plus sombre de toute l'Histoire de la Conquête spatiale.

Dans la nuit, Boris KONOPLIEV, le constructeur principal de l'OKB-692, supervise en personne les réparations de la commande des membranes pyrotechniques, dont il a la charge.

3. L'accident du 24 octobre 1960

Le 24 octobre au matin, la Commission d'Etat autorise la reprise des activités de préparation, et cette fois-ci, tout se passe conformément aux prévisions.

Les membres de la Commission se réunissent sur une petite estrade spécialement aménagée à proximité de la station de contrôle IP-1B, à 800m du pas de tir.

Mais quelques instants avant le tir, un nouvel incident se produit, amenant un report d'une demi heure. Le Maréchal NEDELINE se rend alors sur le pas de tir pour voir ce qui se passe. "Qu'y a-t-il là-bas qui devrait me faire peur ? Je suis un officier, non ?" répond-il quand on lui demande s'il est bien sûr de vouloir y aller.

NEDELINE, à ce moment, est soumis à de fortes pressions de la part de KHROUCHTCHEV. Au cours des préparatifs, il a reçu au moins deux appels du Kremlin qui s'impatientait de voir le nouveau missile décoller. Le Maréchal s'assoit à une vingtaine de mètres du R-16. De là, il observe les préparatifs.

Le problème vient d'un dispositif appelé PTR, un contrôleur électrique qui active les différents systèmes du missile dans l'ordre défini par la séquence de tir. Il se trouve qu'après un essai quelqu'un ne l'a pas remis dans la bonne configuration.

Un technicien ne sait que faire face à cette situation et demande s'il doit remettre le PTR à zéro. On lui répond par l'affirmative, et il s'exécute. Mais la remise à zéro du dispositif a une autre conséquence. Elle actionne une valve, appelée EPK VO-8, qui contrôle l'allumage des moteurs du second étage.

Il est 18h45 à Baïkonour. En un éclair, le pas de tir de la zone 41 s'embrase. Deux cents à deux cent cinquante personnes sont sur place.

Fig. 8 : Des hommes tentent de s'échapper du pas de tir.
Crédit : DR.

De nombreux hommes sont littéralement consumés sur place. D'autres ont le temps de courir, mais finissent quand même par brûler vifs. Il y a aussi ceux qui sont asphyxiés par les gaz toxiques dégagés par l'explosion, et ceux qui meurent à cause du goudron qui brûle sous leurs pieds.

La boule de feu atteint 120m de diamètre et ravage tout le pas de tir. Le brasier est visible à cinquante kilomètres à la ronde. Le Maréchal NEDELINE est tué instantanément. Son adjoint, Lev GRICHINE, parvient à s'enfuir mais il succombera à ses brûlures quelques jours plus tard.

Dans le poste de commandement, le général MATRENINE a le réflexe de donner l'ordre de ne pas toucher aux pupitres afin de les laisser en l'état pour l'enquête. Un homme en flammes pénètre alors dans le bunker. Les personnes présentes essayent de l'aider, mais maintenant que la porte est ouverte les gaz toxiques vont pourvoir rentrer. MATRENINE ordonne au personnel de mettre les masques à gaz et d'évacuer au plus vite.

Au poste de commande IP-1B, les lieutenants KLIMOV et MASLOV rassemblent une trentaine de soldats pour porter secours aux survivants, qui sont évacués dans des bus et conduits à l'hôpital en soins intensifs. Parmi eux le général GUERTCHIK, un autre adjoint de NEDELINE.

Le premier décompte des victimes fait état de 74 morts, mais d'autres succomberont à leurs blessures. On déplore au total 92 personnes décédées.

Capitaine V. M AGUIEÏ Major B. I. MAGNITSKI
E. I. ALIA-BROUDZINSKI (OKB-586) Soldat V. I. MAKAROV
Lieutenant-colonel A. G. AZORKINE Major V. V. MAKHNO
A. S. BABOUCHKINE Soldat A. A. MALOUCHEV
Lev Abramovitch BERLINN (OKB-586) Lieutenant-chef V. A. MANOULIENKO
Soldat V. N. BOROVKOV Soldat A. L. MARKOV
Lieutenant I. G. BRITSIOUNN Lieutenant V. K. MILOGLIADOV
Soldat G. V. CHMAKOV Lieutenant E. F. MIRONIENKO
Lieutenant-colonel  S. I. CHMELEV Sergent N. N. MIRONOV
Lieutenant-chef L. F. DIDIENKO Lieutenant P. V. MOTCHALINE
Soldat A. A. DORZHEÏEV Lieutenant V. S. NEMIENKOV
G. F. FIRSOV Maréchal Mitrofann Ivanovitch NEDELINE
Lieutenant-chef N. V. GARASKO Colonel A. I. NOSSOV
Lieutenant-chef E. T. GLOUCHENKO Lieutenant-chef N. K. NOVIKOV
Lieutenant-colonel R. M. GRIGORIANTS V. V. ORLINSKI (OKB-586)
Soldat V. F. GUERACHKINE Lieutenant-colonel E. I. OSTACHEV
Capitaine G. A. INKOV Sergent A. V. OUÏDINE
Capitaine N. K. KALABOUCHKINE Sergent A. P. OUVAROV
V. G. KARAÏTCHENTSEV (OKB-586) E. I. PAVLIENKO (Arsenal)
Lieutenant E. A. KARAKOULOV Sergent A. I. POLECHKO
Soldat V. D. KHOUDIAKOV Soldat V. I. POUGAREVITCH
Lieutenant-chef A. I. KNIAZEV Colonel V. A. PROKOPOV
Soldat V. I. KOBZAR Capitaine P. E. RODIONOV
V. A. KOCHKINE I. A. ROUBANOV (OKB-692)
B. M. KONOPLIEV (OKB-692) Lieutenant-colonel A. V. SAKOUNOV
V. A. KONTSEVOÏ (OKB-586) B. N. SERGUEÏEV
Lieutenant-sergent E. P. KOROLIOV Lieutenant V. M. SINIAVSKI
Lieutenant M. T. KOUPREÏEV Soldat V. I. SIZOUÏKH
Lieutenant-chef I. P. KOUTCHINE Lieutenant-chef A. I. STEKOLNIKOV
Capitaine I. N. KOVTOUNIENKO Soldat G. A. STOUKOV
Sergent E. P. KOZLOV Lieutenant M. A. SVIRINE
Sergent E. G. KRAÏEVSKI V. S. VAKHROUCHINE
Lieutenant A. D. KRETCHIK P. Ya. VEIBERMANN (Arsenal)
Capitaine V. M. KRIVOSHEÏN L. P. YERTCHENKO (OKB-586)
G. A. LEONIENKO Soldat L. M. ZAMSKI
Lieutenant-colonel V. D. LEONOV Lieutenant-chef I. I. ZARAÏSKI
Lieutenant M. P. LISSIENKO M. I. ZHIGUATCHEV (OKB-692)
Tableau 1 : Liste des soixante-quatorze victimes recensées au 28 octobre 1960.

Mikhaïl YANGUEL, qui a miraculeusement échappé à la catastrophe, écrit au Kremlin pour informer Nikita KHROUCHTCHEV. Le Premier Secrétaire envoie immédiatement une équipe sur place, dirigée par Leonid BREZHNEV.

Fig. 9 : Le monument dédié aux victimes de la tragédie du 24 octobre 1960.
Crédit : Didier CAPDEVILA.

Les experts arrivent au cosmodrome le 25 octobre 1960 vers 09h00. Ils peuvent voir les restes du missile sur le pas de tir de la zone 41, ainsi que les corps calcinés à peine identifiables gisant tout autour.

BREZHNEV annonce qu'il n'y aura pas de sanctions, et il déclare que "tous les coupables ont déjà été punis'.

4. Le R-16 opérationnel

La commission d'enquête, dirigée par Ivan SERBINE, conclut que les responsables du programme accordaient une trop grande confiance aux procédures de sécurité, et que cela a conduit à des prises de décision hâtives.

Techniquement, on découvre que le missile était sous tension au moment de l'accident. Certains techniciens s'inquiétaient des performances des batteries en raison de la température extérieure et les avaient donc mises en marche.

Sans cela, la remise à zéro du PTR n'aurait pas eu de conséquence. La commission recommande donc de modifier le système de contrôle et la séquence de vol afin que cela ne puisse plus se reproduire.

C'est l'OKB-692 qui est en charge de la conception du système de contrôle, et son constructeur principal, Boris KONOPLIEV, a été tué dans la catastrophe. Il est remplacé par Vladimir SERGUEÏEV, qui travaillait jusque là au NII-885.

Le Maréchal NEDELINE est quant à lui remplacé par le général Andreï SOKOLOV.

Fig. 10 : Le général Andreï Illarionovitch SOKOLOV.
Crédit : DR.

Un nouveau missile R-16 est livré à Baïkonour le 1er janvier 1961, à peine plus de deux mois après la catastrophe. Il est lancé le 2 février 1961, mais un problème de guidage le fait s'écraser en Sibérie.

Plusieurs autres tirs sont des échecs, mais finalement le missile atteint les performances demandées. Il termine sa campagne d'essais en octobre 1961 et il est accepté au sein des Forces de Missiles Stratégiques.

Fig. 11 : Décollage d'un missile R-16 depuis la zone n°41.
Crédit : DR.

Le développement de la version R-16U, destinée à être lancée non pas d'un pas de tir mais d'un silo, avance également à grands pas. A Baïkonour, l'aménagement de trois silos dans la nouvelle zone n°60 commence en 1961, et le premier tir a lieu en 1962.

Fig. 12 : Décollage d'un missile R-16U depuis la zone n°60.
Crédit : DR.

R-16 et R-16U deviennent rapidement le principal vecteur des forces stratégiques soviétiques. Une fois placés dans leur silo, ils peuvent y rester pendant trente jours et être lancés en quelques minutes en cas d'alerte. C'est exactement cette capacité qui manquait à la R-7.

YANGUEL a donc réussi là ou KOROLIOV avait échoué. Toutefois, le constructeur général de l'OKB-586 ne compte pas en rester là.

5. Du missile au lanceur

Maintenant que YANGUEL s'est imposé comme le principal constructeur de missiles en Union soviétique, il veut aller plus loin et marcher sur les plates bandes de KOROLIOV : le programme spatial.

En juin 1966, il propose une adaptation en lanceur du R-16. Dénommée Tsiklone (11K64), elle permettrait de placer 700kg sur une orbite polaire à 1000km d'altitude, moyennant l'ajout d'un troisième étage de type S5M, construit également par l'OKB-586.

Le 21 juin 1967, le décret n°715-240 du Conseil des Ministres et du Comité central lance des recherches sur Tsiklone, à qui on envisage de confier les satellites météorologiques Meteor.

Une autre variante, appelée 64S2, est proposée par l'OKB-586. Conçue elle aussi sur la base d'un missile R-16, elle ne comporterait pas de troisième étage. Elle est rapidement abandonnée car sa production risquerait de pénaliser celle des missiles, ce que les RVSN souhaitent éviter à tout prix.

Mais aucune de ces deux propositions ne connaît de suite.

De même, la conception d'un lanceur orbital est envisagée à partir du missile R-26 (8K66), dont l'OKB-586 a lancé les études en mai 1960. Mais quand le missile est abandonné, en 1962, son lanceur dérivé (66S4) disparaît également.

Fig. 13 : Maquette du missile R-26.
Crédit : DR.

Les lanceurs dérivés du R-16 ou du R-26 ne connaissent pas beaucoup de succès, mais Mikhaïl YANGUEL a d'autres projets en réserve. Un retour en arrière s'impose.

6. Le missile R-36

Comme on l'a vu, le missile intercontinental R-16 entre en service en 1961, conférant ainsi à l'Union soviétique sa première vraie force de frappe stratégique. Mais la nouvelle arme a ses limites, et le Kremlin désire aller encore plus loin.

En février 1962, ce qui restera comme la plus importante conférence de toute l'Histoire du programme spatial soviétique se tient dans la ville de Pitsounda, en Géorgie.

De nombreux aspects du secteur spatial sont abordés, et notamment celui des lanceurs. Devant un parterre d'officiels civils et militaires, Mikhaïl YANGUEL dévoile ses projets. Il propose de construire un missile beaucoup plus puissant et performant que les précédents, qu'il a appelé R-36, ou 8K67.

Fig. 15 : Le R-36 (à gauche) et le R-36orb.
Crédit : Ракетный щит отечества.

De plus, ce nouvel engin pourrait être décliné en une version R-36orb destinée à placer des charges nucléaires (OGTch) directement en orbite terrestre, ce qui permettrait de frapper n'importe où n'importe quand.

L'OKB-586 de YANGUEL a déjà réussi la conversion des missiles R-12 et R-14 en lanceurs spatiaux, les Cosmos-3 et Cosmos-2, et les dirigeants soviétiques lui font confiance.

Le projet R-36, et sa variante R-36orb, sont validés par le décret du 16 avril 1962. l'OKB-586 passe un peu plus d'un an à étudier les différents concepts et il est décidé de se baser sur le missile R-16. L'avant-projet est rendu en juin 1963, et le premier vol du R-36 a lieu le 28 septembre 1963.

Fig. 16 : Le projet concurrent UR-200.
Crédit : DR.

Mais un autre missile est sur les rangs pour devenir la prochaine arme stratégique de l'Union soviétique. Appelé UR-200, il est développé par l'OKB-52 de Vladimir TCHELOMEÏ et dispose de capacités à peu près équivalentes.

En fait, un troisième projet, proposé par l'OKB-1 et baptisé GR-1 (8K713), existe aussi, mais il n'est pas considéré comme très sérieux.

De nombreux responsables militaires penchent cependant en faveur du R-36 de YANGUEL, et un événement important fait définitivement pencher la balance le 24 septembre 1964. Ce jour là, à Baïkonour, le Premier Secrétaire Nikita KHROUCHTCHEV arrive de Moscou pour assister à une grande manœuvre militaire, baptisée Opération Kedr, qui va se dérouler sur deux jours.

L'OKB-586 procède avec succès aux lancements d'un R-36 et de trois R-16. En revanche, l'OKB-52 tombe soudainement dans l'embarras quand son UR-200 explose en plein vol.

Fig. 17 : KHROUCHTCHEV, BREZHNEV et OUSTINOV
sont accueillis à Baïkonour par KRYLOV, le 24 septembre 1964.
Crédit : DR.

Quelques semaines plus tard, en octobre 1964, KHROUCHTCHEV est écarté du pouvoir et remplacé par Leonid BREZHNEV. Ce changement a un impact direct sur les programmes de missiles et de lanceurs, car le Premier Secrétaire sortant était un supporter inconditionnel de TCHELOMEÏ et de l'OKB-52. Maintenant qu'il n'est plus là, l'UR-200 perd un soutien précieux.

Et finalement, en 1965, c'est effectivement le R-36 qui obtient les faveurs du Parti communiste. L'UR-200, quant à lui, et purement et simplement abandonné.

7. Des bombes en orbite

Comme on l'a dit plus haut, la proposition de YANGUEL à la conférence de Pitsounda portait sur un missile qui serait adaptable en une version orbitale capable de satelliser un armement nucléaire. Il s'agit d'une réponse du constructeur principal de l'OKB-586 à une demande formulée par le Gouvernement soviétique l'année précédente.

Un tel système d'arme, appelé OGTch, permettrait à l'URSS de frapper les Etats-Unis de n'importe quelle direction, et en passant sous les radars anti-missiles. En revanche, le poids de l'ogive et la précision de la frappe seraient plus limités.

La version orbitale du R-36 est dénommée R-36orb, ou 8K69. Un premier vol d'essai balistique a lieu le 16 décembre 1965 depuis Baïkonour. La charge militaire simulée monte jusqu'à 200km d'altitude puis retombe dans la zone prédéfinie. Trois autres essais en vol balistiques sont menés à bien en février, mars et mai 1966, avec plus ou moins de succès.

La première tentative de mise en orbite d'une arme nucléaire factice a lieu le 17 septembre 1966, mais elle se solde par un échec. Il faut attendre le troisième vol, en janvier 1967, pour que le succès soit au rendez-vous.

Fig. 18 : Décollage d'un R-36orb de Baïkonour.
Crédit : DR.

Plusieurs autres tirs suivront les deux années suivantes, et le R-36orb est accepté en service dans l'Armée Rouge le 19 novembre 1969. Puis le système sera abandonné quand les Américains lanceront leur projet de satellites d'alerte avancée, qui font perdre aux OGTch l'avantage de la surprise.

8. Le lanceur Tsiklone-2

Au début des années 1960, l'Union soviétique s'était lancée dans le développement de satellites antisatellites (IS) et de satellites de contrôle (US).

C'était le lanceur UR-200 de l'OKB-52 qui avait été choisi pour placer ces satellites sur orbite, mais en 1965, suite à l'arrivée au pouvoir de Leonid BREZHNEV, c'est un lanceur dérivé du missile R-36 qui lui est préféré.

Fig. 19 : Leonid BREZHNEV, nouveau Premier Secrétaire du Parti communiste.
Crédit : DR.

Le 24 août 1965, le Parti communiste et le Conseil des ministres signent un décret "sur la création d'un lanceur basé sur le R-36 pour la mise en orbite des satellites IS et Us'.

Ce nouveau lanceur est dénommé Tsiklone-2A (11K67). Il y a peu de modifications apportées au missile de base, et aucun étage supplémentaire n'est ajouté. Le Kremlin autorise le développement final dans un décret du 1er juillet 1967.

Le premier vol a lieu quatre mois plus tard, le 27 octobre 1967 depuis Baïkonour. Huit vols sont effectués en un peu plus d'un an, permettant de lancer les premiers satellites IS et US-A.

Fig. 20 : Le lanceur Tsiklone-2.
Crédit : DR.

Cette version est ensuite rapidement remplacée par un lanceur plus évolué : le Tsiklone-2 (11K69). Le premier vol a lieu le 6 août 1969. Comme l'une de ses missions principales est de lancer les satellites US-A équipés de réacteurs nucléaires, il a été développé avec une énorme exigence de fiabilité.

Tsiklone-2 est lancé au rythme de un à huit exemplaires chaque année, pour les besoins des systèmes IS et US. Le lanceur connaît son premier et unique échec le 25 avril 1973.

Fig. 21 : Décollage de Tsiklone-2, le 25 juin 2006.
Crédit : DR.

Un premier ralentissement de l'activité se fait sentir avec la fin du programme IS, au début des années 1980. En 1988, ce sont les US-A qui sont abandonnés, et Tsiklone-2 ne lance plus que des US-PM.

L'effondrement de l'Union soviétique entraîne une crise économique sans précédent, et de nombreux programmes en pâtissent. L'OKB-586, connu aujourd'hui comme le KB Youzhnoïe, est situé dans une Ukraine maintenant indépendante, et les relations entre ce pays et la nouvelle Fédération de Russie n'arrangent rien.

La production du lanceur est stoppée en 1994. De nombreux Tsiklone-2 avaient déjà été assemblés, et ils seront lancés pour mettre en orbite les derniers US-PM. L'unité militaire 46180, qui gérait les campagnes de lancement Tsiklone à Baïkonour, est dissoute le 19 octobre 1998.

Quatre lancements sont encore réalisés, sous la supervision de Roscosmos, et l'ultime vol de Tsiklone-2 a lieu le 25 juin 2006. Il reste pourtant six lanceurs en stock.

Le KB Youzhnoïe a développé une version améliorée, baptisée Tsiklone-2K, qui devait être commercialisée. Elle était équipée d'un troisième étage ADU-600. Mais aucun client potentiel n'a été identifié, et le projet est tombé à l'eau.

Fig. 22 : Maquette du lanceur Tsiklone-2K.
MAKS-2005. Crédit : Nicolas PILLET.

9. Le lanceur Tsiklone-3

Au cours des années 1960, l'Union soviétique décide du développement des satellites Tselina destinés au renseignement électromagnétique (ROEM). Pour les mettre en orbite, un nouveau lanceur doit être construit.

Fig. 23 : Schéma d'un satellite Tselina.
Crédit : DR.

Appelé Tsiklone-3 (11K68), il sera dérivé du Tsiklone-2 (11K69), dont il se différenciera par l'ajout d'un troisième étage S5M. L'OKB-586 avait développé cet étage pour son petit lanceur Cosmos-3, le projet avait été transféré dans un autre bureau d'études et le S5M avait finalement été abandonné.

C'est un décret du Parti communiste et du Conseil des Ministres entériné le 2 janvier 1970 qui lance officiellement le développement de Tsiklone-3. Le texte précise explicitement que le nouveau lanceur sera dérivé de Tsiklone-2 et qu'il utilisera l'étage S5M.

Fig. 24 : Le lanceur Tsiklone-3.
Crédit : DR.

Contrairement à son aînée, Tsiklone-3 ne sera pas lancée de Baïkonour, mais du cosmodrome de Plesetsk, dans le nord de la Russie.

Le développement dure plusieurs années, et le premier vol n'intervient que le 24 juin 1977. De nombreux autres lancements s'en suivent, principalement pour mettre en orbite des satellites Tselina-D, Meteor (météorologie) et Okean (observation des océans).

Tsiklone-3 s'avère particulièrement fiable. A partir de 1985, il est aussi utilisé pour lancer les satellites de télécommunications Strela. Chaque année, une dizaine de tirs sont effectués depuis Plesetsk.

Fig. 25 : Décollage nocturne d'un lanceur Tsiklone-3.
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Mais à partir de 1992, au lendemain de la chute de l'Union soviétique, la cadence tombe brutalement. La situation économique devient difficile, et l'OKB-586, devenu le KB Youzhnoïe, se retrouve dans une Ukraine maintenant indépendante.

Pour assurer des lancements, les charges utiles se diversifient. Tsiklone-3 est maintenant utilisée pour lancer les satellites civils Goniets, ainsi que quelques satellites étrangers (Allemagne, Italie, Chili).

En décembre 2000, six satellites sont perdus à cause d'une défaillance d'un Tsiklone-3. L'avenir du lanceur est alors plus sombre que jamais. Après cet échec, deux tirs ont lieu en 2001, et un en 2004.

En janvier 2005, une polémique est lancée dans la région de Plesetsk concernant les problèmes de santé publique liés à l'utilisation d'ergols toxiques sur certains lanceurs. Les représentants du cosmodrome annoncent alors qu'il n'y aura plus de tir de Tsiklone-3.

Il semble toutefois probable que les motivations réelles des autorités russes soient davantage économiques qu'écologiques. L'Ukraine pratique en effet des prix très élevés pour vendre son lanceur, et la Russie a de plus en plus de mal à les assumer. Le dernier lancement de Tsiklone-3 a finalement lieu en janvier 2009.

10. Le lanceur Tsiklone-4 à Alcantara

En 2003, les agences spatiales ukrainienne et brésilienne annoncent qu'elles envisagent de lancer des fusées Tsiklone depuis le centre spatial d'Alcantara, au Brésil.

Des tirs de Tsiklone-3 avaient déjà été envisagés depuis le Centre Spatial Guyanais de Kourou, en 1995, mais la France n'avait pas donné suite au projet. De même, en 2001, on a fait état d'un projet de lancement de Tsiklone-4 depuis une base en Floride.

Un pas de tir situé à Alcantara augmenterait de manière substantielle les capacités de Tsiklone, du fait de la proximité de l'équateur.

Fig. 26 : Le Centre de Lancement d'Alcantara (CLA, Centro de Lançamento de Alcântara).
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De plus, celui-ci serait amélioré pour devenir le Tsiklone-4. Les deux premiers étages seront modifiés, et le lanceur serait doté d'un troisième étage de nouvelle génération et d'une coiffe plus large le rendant tout à fait crédible sur le marché commercial.

En avril 2003, l'Ukraine annonce que le projet coûtera 180M$, mais qu'il rapportera entre 240 et 260M$ en dix ans, avec un premier vol prévu en 2005. Le Président ukrainien Leonid KOUTCHMA, signe un accord avec le Brésil le 21 octobre 2003. Ironie du sort, KOUTCHMA est un ancien ingénieur qui a participé à la conception des lanceurs Tsiklone.

Fig. 27 : Leonid KOUTCHMA, Président de l'Ukraine de 1994 à 2004.
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L'accord d'octobre 2003 est ratifié par le Parlement brésilien le 4 février 2004. Le texte prévoit notamment la création d'une entreprise commune (50-50%), appelée « Alcantara Tsiklone Space » qui sera chargée de la commercialisation du lanceur.

Au KB Youzhnoïe, ce qu'on appelle désormais le « Complexe de Fusée Spatial (KRK) » Tsiklone-4 devient la principale priorité. D'autres entreprises, comme l'usine Youzhmach, le KBTM ou le NPTs AP sont associées au projet. Au Brésil, la société Infraero est également mise sur pieds avec pour mission de superviser le projet.

En novembre 2004, le KB Youzhnoïe emprunte 150M$ aux banques, avec une garantie de l'Etat, pour pouvoir mener à bien le projet.

Fig. 28 : Vue d'artiste du lanceur Tsiklone-4 à Alcantara.
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Du 5 au 9 décembre 2005, une délégation de l'agence spatiale ukrainienne, la NKAU, visite la base d'Alcantara.

Mais d'un côté comme de l'autre, le financement est plus que difficile, et le programme tombe petit à petit à l'abandon. Il est aujourd'hui annulé.