US-K | Histoire

L'alerte avancée est la discipline qui prend en charge la détection des lancements de fusées et de missiles balistiques. On lui associe souvent aussi la détection des explosions nucléaires. Dès les années 1950, les états-majors du monde entier perçurent, avec la montée en puissance des moyens spatiaux, l'intérêt que pourrait représenter un système d'alerte avancée basé en orbite terrestre. En effet, la courbure de la Terre limite la portée des observations effectuées depuis le sol. Les Etats-Unis ont été les premiers à mettre en place un tel système. Il s'agit du programme MIDAS, qui démarra dès 1960.

1. Principe

L'alerte avancée repose sur un principe fondamental : toute source de chaleur émet un rayonnement infrarouge (IR). Ainsi, un missile au lancement est détectable par un satellite placé en orbite terrestre, pour peu que celui-ci soit équipé de capteurs adéquats.

Mais la tâche n'est pas aussi aisée qu'elle peut le paraître. En effet, on se heurte très rapidement au problème de la distinction entre les sources de chaleur naturelles (incendies, sources géothermiques, etc.) et celles que l'on recherche. Pour remédier à cela, on observe la source dans plusieurs longueurs d'ondes, très rapprochées les unes des autres, afin de mesurer les différences d'intensité entre chacune d'elles. Ces petites variations, qu'on appelle la signature, sont caractéristiques de tel ou tel type de source.

Une autre difficulté est causée par les multiples fonds terrestres sur lesquels se font les observations. Par exemple, une observation sur fond de désert demandera une résolution très importante. Une observation sur fond de chaîne de montagnes peut paraître plus simple, mais elle peut être faussée par la réflexion du Soleil.

2. Les débuts de l'alerte avancée en URSS

A la fin des années 1960, les responsables soviétiques décident de rattraper leur retard en matière d'alerte avancée. Les Américains ont en effet déjà à leur actif trois programmes dans ce domaine (MIDAS, Vela et DSP).

L'URSS part cependant avec un gros handicap : elle ne possède pas de données précises sur les différents fonds terrestres que ses satellites devront rencontrer. Elle sélectionne alors trois moyens d'observation, qui devront faire leurs preuves :

- des tubes vidicon sensibles au proche-infrarouge,
- des tubes vidicon sensibles aux ultraviolets,
- des détecteurs solides sensibles aux infrarouges.

Le TsNII Kometa s'est vu attribuer la responsabilité de mener à bien le programme d'alerte avancée de l'Union soviétique. Il confie au KB Lavotchkine la construction des satellites. Ceux-ci prennent la dénomination US-K, ou « Oko » (ancien mot russe qui signifie « œil »).

3. Le choix de l'orbite

Comme on l'a dit précédemment, l'Union soviétique ne possède pas, ou peu de données sur les fonds terrestres. Se doutant alors que les capteurs seront incapables de détecter quoi que ce soit (si on leur donne une grande sensibilité, ils seront aveuglés au dessus des régions chaudes, et si on leur donne une faible sensibilité, ils ne pourront pas détecter les traces des missiles), les ingénieurs du KB Lavotchkine préconisent de les placer sur des orbites fortement elliptiques (HEO).

L'angle d'observation autorise alors une détection fiable des traces de missiles balistiques. De plus, cette méthode permet de pallier le manque de qualité des capteurs IR. L'Union soviétique a en effet de gros retards technologiques dans ce domaine. Seule ombre au tableau : un tel type d'orbite ne permet pas une surveillance globale. Les autorités décident donc de limiter les observations aux zones dites sensibles, telles que les Etats-Unis ou la Chine.

Si le choix de l'orbite fortement elliptique possède, comme on l'a vu, de nombreux avantages, il présente toutefois un inconvénient majeur. Du fait de l'ellipticité de son orbite, un US-K n'est en position de détecter un tir de missile depuis un endroit donné que six heures par jour.

Un système qui se veut opérationnel demande donc d'avoir une constellation permanente de quatre satellites. Cela dit, les Soviétiques ont décidé de jouer la prudence, et ils ont conçu le système pour qu'il fonctionne avec neuf satellites, leurs plans orbitaux étant distincts deux à deux. De cette façon, la perte d'un satellite n'affecterait en rien le fonctionnement du système, et la corrélation des données permet d'augmenter encore la fiabilité des alertes.

Un autre avantage d'une constellation à neufs satellites est la possibilité d'observer une zone avec plusieurs d'entre eux de manière simultanée. De cette façon, on élimine le risque d'éblouissement, car plusieurs satellites possédant chacun une inclinaison propre ne peuvent être éblouis simultanément.

Une autre caractéristique de l'orbite sélectionnée pour les US-K est un fort argument de périgée (environ 320°). Les satellites sont en conséquence très sensibles aux perturbations gravitationnelles, et ils nécessitent donc de fréquentes manœuvres de maintien à poste.

4. Les premiers satellites

Le premier lancement d'un US-K intervient le 19 septembre 1972. Cosmos 520, tout comme les trois US-K qui vont suivre, n'a aucune vocation opérationnelle, mais sert de démonstrateur.

Fig. 1 : Un satellite Oko.

Grâce à ces quatre satellites, les Soviétiques se rendent compte que les détecteurs IR solides sont les plus efficaces. Mais ils font aussi un autre constat : il sera très difficile de maintenir en permanence neufs satellites en état de marche. Ils décident alors d'en développer une seconde génération.

5. La deuxième génération et la mise en service opérationnel

Les satellites US-KS « Oko-S » (74Kh6) ont une masse d'environ 2t. Ils sont placés en orbite géostationnaire par des lanceurs Proton-K équipés d'étages supérieurs Bloc DM ou Bloc DM-2.

Leur mission est complémentaire des US-K de première génération. Ils sont en effet positionnés à la verticale de la zone à surveiller, permettant ainsi une surveillance permanente. La perte d'un ou plusieurs US-K n'empêche alors pas le système de fonctionner.

Le 14 avril 1975, les autorités soviétiques ordonnent le déploiement du système d'alerte dès l'année 1976.

Le premier US-KS, Cosmos 775, est lancé le 8 octobre 1975. Le deuxième exemplaire ne sera pas lancé avant 1984, soit neuf années plus tard.

Le « Système d'alerte d'attaque missile » SPRN (Система предупреждения о ракетном нападении) entre en service en 1977. Il est géré par la RKO (défense aérospatiale). Selon des sources officielles, le SPRN est capable de détecter un tir de missile dans les 20 secondes qui suivent.

Cosmos 775 fonctionne avec trois des quatre US-K expérimentaux et avec Cosmos 862, le premier US-K de série lancé en octobre 1976. Le système SPRN d'alerte avancée dispose de huit stations sol :

  1. Pechora (Azerbaïdjan)

  2. Minguetchaour (Azerbaïdjan)

  3. Moukatchevo (Ukraine)

  4. Sevastopol (Crimée)

  5. Goulchad (Kazakhstan)

  6. Irkoutsk

  7. Mourmansk

  8. Baranovitchi (Biélorussie)

Le poste de commandement du système se trouve à Solnetchnogorsk. Les satellites sont contrôlés depuis les stations de Kourilovo (près de Serpoukhov-15) et de Komsomolsk-sur-Amour.

6. Les satellites Prognoz

Les premiers satellites US-K, même quand ils sont couplés aux US-KS, sont incapables d'assurer une surveillance globale, et ne peuvent pas détecter les tirs de SLBM. En 1975, il est donc décidé de développer une nouvelle génération de satellites d'alerte avancée. Le programme démarre suite au décret n°310-103 du 14 avril 1975.

Ces nouveaux satellites sont appelés US-KMO « Oko-1 » (71Kh6), mais pour éviter toute confusion avec leurs prédécesseurs, on les dénomme « Prognoz » (prévision).

Les US-KMO sont destinés à remplacer les US-K et US-KS. Ils sont placés sur des orbites géostationnaires par des lanceurs Proton-K. Le système, pour être pleinement opérationnel, demande une constellation de sept satellites.

7. Etat actuel du système

En ce qui concerne les US-KMO, seul Cosmos 2440 est peut-être encore en service. Les US-KS semblent en revanche totalement abandonnés.

En 2006, 2007, 2008 et 2010, quatre US-K ont été lancés en tout. Il est fort probable qu'il n'y en aura pas d'autre.

Bibliographie

Air&Cosmos n°1796 et 1901
L'Espace, nouveau territoire, sous la direction de Fernand VERGER
Novosti Kosmonavtiki n°7-2003


Dernière mise à jour : 2 octobre 2010