Loutch | Histoire

1. La naissance du système mondial de retransmission

Depuis les années 1960, Américains et Soviétiques ont développé des satellites qui permettent de relayer des communications entre deux points de la surface terrestre. Des expérimentations ont aussi été faites pour relayer entre deux points au sol des communications en provenance d'un émetteur situé sur orbite. Ainsi, en octobre 1969, les vaisseaux Soyouz-6, Soyouz-7 et Soyouz-8 ont communiqué avec le centre de contrôle d'Eupatorie en passant par le navire Kosmonavt Vladimir Komarov qui transmettait lui-même via un satellite Molnia-1.

Le satellite américain OSCAR 6, mis sur orbite le 15 octobre 1972 par un lanceur Delta-300, teste pour la première fois au monde une liaison radio entre deux satellites. Les deux satellites LES-8 et LES-9, lancés le 15 mars 1976, réitèrent l'opération [5]. La NASA doit utiliser plusieurs dizaines de stations relais pour communiquer avec ses vaisseaux spatiaux et ses satellites, ce qui est coûteux et peu efficace. En 1976, l'agence américaine passe contrat avec Western Union pour le développement d'un système appelé TDRS (Tracking and Data Relay Satellites) qui consistera en plusieurs satellites-relais sur orbite géostationnaire. Il sera plus économique et permettra des communications ininterrompues.

Fig. 1.1 : Un satellite américain TDRS.
Musée Steven F. Udvar Hazy. Crédit : Nicolas PILLET.

Des études sur des satellites-relais géostationnaires sont également réalisées en Union soviétique par NPO PM. L'entreprise créée le 30 décembre 1971 un département n°50, dirigé par Viatcheslav ARKHANGUELSKI, chargé d'élaborer les projets d'avenir. Ses équipes commencent à réfléchir à l'idée de satellites-relais et baptisent le projet Altaïr [16].

Un décret du Comité central du Parti communiste et du Conseil des Ministres daté du 17 février 1976 (132-51) lance le développement du Système Spatial Global de Commande et de Retransmission GKKRS (Глобальная Космическая Командно-Ретрансляционная Система), baptisé Rassviett [1].

Le GKKRS sera constitué de deux constellations, l'une militaire et l'autre civile. Réunir les deux fonctions dans un seul système a en effet été considéré comme trop complexe par NPO PM [1]. La composante militaire est baptisée Potok et elle est développée en premier. Une nouvelle plate-forme, appelée KAUR-4, est mise au point et comporte de nombreuses innovations techniques.

Fig. 1.2 : Le satellite Potok.
Crédit : ISS Rechetniov.

2. Le développement des satellites Loutch

La composante civile de Rassviett est baptisée Loutch (11F669), ou Altaïr, et son développement commence en 1977 chez NPO PM. Ces satellites réutilisent la KAUR-4 et émettront sur les bandes L et Ku pour les besoins des Forces Spatiales, des Forces Navales (VMF) et du MOM, qui en aura besoin pour communiquer avec la station Mir, la navette Bourane, les vaisseaux Soyouz et Progress, ainsi que les étages Bloc DM [2].

Le plus grand défi dans la conception des Loutch réside dans leurs antennes, qui sont plus grande que ce que NPO PM avait fait jusque-là, et qui doivent être pointées avec précision [2]. Le transpondeur Orion est développé en parallèle par NPO Radiopribor [4]. Le premier Potok est lancé le 17 mai 1982 et devient le premier satellite-relais au monde. Le premier TDRS américain est quant à lui mis sur orbite le 4 avril 1983 par la navette spatiale Challenger STS-6.

Fig. 2.1 : Préparation du premier satellite TDRS, en 1982.
Crédit : NASA.

Le premier Loutch décolle au sommet d'un lanceur Proton-K le 25 octobre 1985, à temps pour assurer les transmissions lors du vol inaugural de la navette Bourane [4]. Mais celui-ci est reporté jusqu'à la fin 1988, et le satellite ne fonctionne plus. Un deuxième exemplaire a été lancé entre temps le 26 novembre 1987, puis encore deux autres les 27 décembre 1989 et 16 décembre 1994.

Fig. 2.2 : Préparation d'un satellite Loutch chez NPO PM, en 1996.
Crédit : TASS.

Les difficultés des années 1990, consécutives à la dissolution de l'Union soviétique, ne permettent pas d'assurer le renouvellement normal des satellites Loutch. Le projet d'origine prévoyait l'emploi de trois satellites et de deux stations-relais au sol mais, dans la pratique, il n'y a jamais eu au lieux que deux satellites en service simultanément, et une seule station au sol a été équipée [26]. Le quatrième Loutch fonctionne jusqu'en 1998 [4].

En 2000, un cinquième Loutch est prêt pour être expédié à Baïkonour, mais il n'y a pas de budget pour financer le lanceur Proton-K. En avril 2003, le Ministère des Télécommunications offre le satellite au musée Aleksandr Popov de Saint-Pétersbourg [4].

3. La version améliorée Loutch-2

Mais le principal problème des Loutch, c'est qu'ils n'ont pas grand chose à relayer. L'activité spatiale soviétique tourne au ralenti, et les capacités des transpondeurs ne sont pas exploités à pleine capacité, loin de là. Rosaviacosmos et les Forces Spatiales décident d'utiliser leurs satellites Potok et Loutch pour retransmettre des données commerciales [3].

Et pour aller plus loin, NPO PM développe une version améliorée Loutch-2 (14F30), ou Guelios, capable de retransmettre davantage de débit à des fins commerciales tout en assurant le relai des données des utilisateurs [3]. Un unique exemplaire est lancé le 11 octobre 1995 et fonctionne jusqu'en 1999, ce qui met un terme à l'exploitation du système.

Fig. 3.1 : Préparation d'un Loutch-2 chez NPO PM, en 2002.
Crédit : TASS.

Le 12 juillet 2001, l'Europe lance à son tour un satellite relais, baptisé ARTEMIS. Le Japon en fait de même le 10 septembre 2002 avec son satellite Kodama.

4. Loutch-M, la deuxième génération

Pour succéder aux Loutch-2, NPO PM a envisagé un projet Loutch-3, mais il sera abandonné [6]. En 2001, l'entreprise commence à étudier le nouveau Système Spatial de Retransmission Polyvalent MKSR (Многофункциональная Космическая Система Ретрансляции), appelé Loutch-M, constitué d'un satellite lourd Loutch-4 et de deux satellites légers Loutch-5 [3][18]. Sergueï ROSKINE est le chef de ce projet qui, en 2002, est officiellement validé par Rosaviacosmos [6].

Les travaux sont lancés chez NPO PM en 2003 [3]. Les Loutch-5 seront construits sur la base de la nouvelle plate-forme non pressurisée Ekspress-1000, et le Loutch-4 sera basé sur la plate-forme Ekspress-2000.

Fig. 4.1 : Sergueï Mikhaïlovitch ROSKINE.
Crédit : ISS Rechetniov.

En 2005, le lancement de Loutch-5A est prévu pour 2007 [19]. Mais Roscosmos ne commence à fournir le financement qu'en 2006, ce qui reporte le lancement à 2009 [20]. Les Loutch-5 sont suffisamment légers pour être mis sur orbite par des lanceurs Soyouz-2, ce qui limite leur coût. Loutch-5B, contrairement à Loutch-5A, ne possèdera pas de transmetteur COSPAS-SARSAT mais disposera à la place d'un système de communication par laser. En 2007, les lancements des deux Loutch-5 sont prévus en 2010 et 2011 [21]. Ces satellites utilisent de nombreux systèmes fournis par l'entreprise française Thales Alenia Space [23].

Le contrat pour le satellite Loutch-4 est signé entre Roscosmos et NPO PM, rebaptisée ISS Rechetniov, en février 2009. Il prévoit un lancement au plus tard en 2013. En plus de tous les équipements déjà présents sur les Loutch-5, Loutch-4 possèdera une liaison inter-satellites en bande Ka [22], ainsi qu'une capacité de téléphonie directe qui permettra de proposer un service similaire à ceux de l'entreprises Thuraya [23].

Fig. 4.2 : Le satellite Loutch-4.
Crédit : ISS Rechetniov.

Mais le développement de Loutch-4 est plus complexe et plus long que prévu. Fin 2011, Roscosmos annule le projet et décide de commander à la place un troisième Loutch-5. Les technologies que Loutch-4 devait expérimenter, comme l'énorme antenne de 18m de diamètre, seront testées sur un satellite expérimental appelé Ienisseï-A1, dont le lancement aura lieu après 2015 [24].

Loutch-5A est mis sur orbite géostationnaire le 11 décembre 2011 et fonctionne correctement. Loutch-5B est lancé le 2 novembre 2012, et le troisième satellite, appelé Loutch-5V, décolle le 28 avril 2014, rendant ainsi le système Loutch-M pleinement opérationnel. Entre temps, le 25 avril 2008, la Chine a elle aussi lancé son premier satellite-relais Tianlian.

Fig. 4.3 : Préparation du satellite Loutch-5A à Baïkonour.
Crédit : Roscosmos.

5. Les projets futurs

Le Programme Spatial Fédéral de Roscosmos sur la période 2016-2025 (FKP-2025) prévoit de lancer trois satellites modernisés Loutch-5M [10] :

- Loutch-5M n°1 en 2019 à la position 160°O, ce qui permettra de réserver cette position qui appartient à la Russie et qui n'est actuellement pas occupée,
- Loutch-5M n°2 en 2022 à 167°E pour remplacer Loutch-5A,
- Loutch-5M n°3 en 2024 à 16°O pour remplacer Loutch-5B.

Ces plans vont toutefois changer. On apprend en effet en mai 2017 que Roscosmos préfère reporter les Loutch-5M à la période suivante, c'est-à-dire au-delà de 2025, et lancer en attendant deux exemplaires d'une version simplifiée appelée Loutch-5VM [8][10][11][15]. L'un des deux Loutch-5VM occuperait la position 160°O pour la réserver, l'autre servirait de réserve en cas de défaillance de l'un des trois Loutch-5 [10][12].

Le 11 janvier 2018, Roscosmos signe avec ISS Rechetniov un contrat pour l'étude (OKR) de la future constellation Loutch-5M [7][13]. Le contrat pour Loutch-5VM est passé quant à lui le 19 mai 2020 pour la somme de 11 milliards de roubles [14]. Il n'est toutefois question que d'un seul exemplaire, dont le lancement devra avoir lieu en 2024 au plus tard [17]. Le satellite sera construit sur la base de la plate-forme Ekspress-1000, comme les Loutch-5 [9].

Le lancement de Loutch-5VM n°1 est ensuite repoussé à 2025, et on apprend qu'un second satellite, Loutch-5VM n°2, a été commandé par Roscosmos.

Bibliographie

[1] PERVOV, M., История развития отечественных автоматических космических аппаратов, Moscou, 2015, pp. 310-311
[2] Ibid., pp. 326-328
[3] Ibid., pp. 417-420
[4] KRASSILNIKOV, A., Российский ретранслятор и израильский «связник», NK n°02-2012
[5] MURI, P., A Survey of Communication Sub-systems for Intersatellite Linked Systems and CubeSat Missions
[6] В свете «Лучей», bulletin ISS n°525
[7] Новый контракт, bulletin ISS n°442
[8] Messages sur le forum de Novosti Kosmonavtiki
[9] Контракт на спутник-ретранслятор, bulletin ISS n°495
[10] KRASSILNIKOV, A., Широкополосная связь для российского сегмента, NK n°07-2017
[11] Николай Тестоедов: состояние орбитальной группировки ГЛОНАСС можно назвать удивительным, interview TASS du 16.05.2017
[12] Изготовление модернизированных спутников ретрансляции "Луч-М" отложено, TASS, 16.05.2017
[13] Новый этап работ по системе «Луч», TASS, 11.01.2018
[14] "Роскосмос" выделил 11 миллиардов рублей на первый этап модернизации группировки спутников-ретрансляторов "Луч", AEX, 22.05.2020
[15] Россия модернизирует систему спутников-ретрансляторов 'Луч' в два этапа, RIA Novosti, 01.11.2019
[16] Рязанский Михаил Сергеевич, сборник материалов к 100-летию со дня рождения, p. 44
[17] Для глобального применения, bulletin ISS n°505
[18] КА-ретранслятор «Луч-4», sur le site d'ISS Rechetniov
[19] «Луч-5А» - новый спутник для связи с МКС, bulletin NPO PM n°115
[20] « Луч » - космическая система ретрансляции информации, bulletin NPO PM n°127
[21] Многофункциональная космическая система ретрансляции «Луч», bulletin NPO PM n°135
[22] Новый спутник-ретранслятор, bulletin ISS n°162
[23] Космическая система ретрансляции «Луч», bulletin ISS n°195
[24] KRASSILNIKOV, A., «Луч-4» стал «Енисеем-А1», NK n°01-2013
[25] KRASSILNIKOV, A., Третий «Луч-5» и третий «КазСат», NK n°06-2014
[26] VICHNEKOV, V., Перспективы использования опыта разработки и эксплуатации системы связи со станцией "Мир" и кораблём "Буран" для Российского Сегмента МКС, KTT n°03-2013


Dernière mise à jour : 21 avril 2024