OS-120 | Histoire

En 1969, les programmes spatiaux américains et soviétiques sont principalement dédiés à l'exploration lunaire. Le programme Apollo aboutit le 21 juillet 1969 en permettant le premier pas d'un Homme sur la Lune, et le programme N1-L3 représente l'espoir de Moscou d'égaler cet accomplissement.

Mais dès le mois de février, la NASA avait lancé des études de faisabilité d'un vaisseau spatial réutilisable qui permettrait de faire des allers-retours entre la Terre et une future station orbitale. Les experts soviétiques prennent ces projets très au sérieux, car un tel véhicule procurerait aux Etats-Unis une capacité militaire jusque là inégalée.

Fig. 1 : Le projet de navette spatiale DC-3 de la NASA.
Crédit : Capcomespace.

Le 27 novembre 1970, le Comité central du Parti communiste et le Conseil des Ministres publient par décret (n°13/1064) un « plan de travail pour le développement des technologies spatiales sur la période 1971-1975 », qui lance une étude sur la faisabilité d'un équivalent soviétique à la navette spatiale américaine [1].

Ce document est également signé par Andreï GRETCHKO, Ministre de la Défense, Leonid SMIRNOV, président de la Commission Militaro-industrielle (VPK), Sergueï AFANASSIEV, Ministre de la Construction de Machines générales (MOM) et Mstislav KELDYCH, de l'Académie des Sciences [1]. Cela montre le degré d'importance que le Gouvernement soviétique donne au projet américain.

Le 5 janvier 1972, le Président Richard NIXON lance officiellement le programme de navette spatiale. Deux mois plus tard, en mars 1972, une réunion est organisée à la VPK avec les principales organisations spatiales et militaires du pays (TsNIIMach, NII-4, TsNII-30, GUKOS, VVS) dans le but de préparer un arrêté (n°86) visant à organiser la réponse soviétique au projet américain, appelée Système de Transport Spatial Réutilisable, ou MTKS (Многоразовая Транспортная Космическая Система). Cet arrêté est publié le 17 avril 1972 [1].

Fig. 2 : James FLETCHER, Administrateur de la NASA, et Richard NIXON, le 5 janvier 1972.
Crédit : NASA.

La navette américaine sera capable d'emporter des charges lourdes sur orbite basse, ainsi que d'en ramener sur Terre. En avril 1972, plusieurs réunions sont organisées avec, notamment, Vassili MICHINE (TsKBEM), Vladimir TCHELOMEÏ (TsKBM) et Valentin GLOUCHKO (KB Energomach). Quatre grandes conclusions en ressortent :

  1. Le concept MTKS n'est pas efficace en terme de coûts pour lancer des satellites sur orbite, et il est inférieur aux lanceurs consommables,

  2. Il n'existe pas de besoin sérieux pour ramener des satellites sur Terre,

  3. Selon le GUKOS et les VVS, la construction de la navette américaine ne constitue pas une menace sur le plan militaire. Le MTKS n'a pas de raison d'être en tant que lanceur, mais il peut être utile en tant que moyen complémentaire aux systèmes existants,

  4. Il est nécessaire de mener une étude technique du projet, qui devra faire suite à une décision de la VPK [1].

Les participants constatent qu'il est également nécessaire de déterminer qui aura la responsabilité du développement du MTKS : le secteur spatial (le MOM et le GUKOS) ou le secteur aéronautique (le MAP et les VVS) ? Il se trouve que, à ce stade, aucun des deux ne manifeste un intérêt particulier pour ce projet [1].

Il y a également un manque de consensus concernant le cahier des charges du MTKS. Le GUKOS envisage un MTKS capable d'envoyer 30 à 40 tonnes sur orbite, et d'en ramener 20 tonnes, alors que les VVS désireraient un véhicule de 20 tonnes, avec une charge utile de 5 à 8 tonnes, capable d'être mis sur orbite par le lanceur Proton-K du TsKBM. En clair, personne en Union soviétique ne sait exactement quoi attendre du MTKS [1].

Les avancées du projet de navette américaine sont suivies de près en URSS, et les spécialistes s'inquiètent des dimensions de la soute de l'engin, qui lui permettraient par exemple de capturer sur orbite une station DOS ou Almaz et de la ramener sur Terre. Il est clair que le potentiel militaire de la navette inquiète Moscou [1].

A partir d'avril 1973, la VPK rassemble les principaux instituts spatiaux du pays (TsNIIMach, NII TP, TsAGI, TsNII-30, TsNII-50) en vue de rédiger un arrêté définissant le MTKS. Les participants s'accordent pour confier le projet au MOM. Le document (n°298) sera finalement publié le 27 décembre 1973 et demande au MOM :

  1. de fixer la masse de la charge utile que le MTKS pourra satelliser et ramener,

  2. de fixer les objectifs militaires et scientifiques que le MTKS devra satisfaire,

  3. de déterminer les principaux axes de R&D qui devront être défrichés [1].

L'arrêté propose par ailleurs trois versions du MTKS : l'une développée par le TsKBEM et utilisant le lanceur lunaire N-1, l'une développée par le TsKBM et utilisant le lanceur Proton-K, et l'une développée par l'OKB Mikoïan et réutilisant le concept d'avion spatial Spirale, qui serait lui aussi lancé par Proton-K. L'avant-projet devra être terminé avant la fin du premier semestre 1974 [1].

Le projet Spirale n'attire pas l'attention du MOM, pas plus que la N-1, qui a valu à l'Union soviétique de perdre la course à la Lune. Le projet de petit avion spatial du TsKBM semble donc favori.

Mais en mai 1974, le MOM décide une grande réorganisation du secteur spatial. Le TsKBEM devient la NPO Energuia, et il absorbe le KB Energomach de GLOUCHKO, qui prend la tête de la nouvelle organisation. L'une des premières conséquences de cette réforme est l'arrêt du programme N-1.

Fig. 3 : Valentin GLOUCHKO.
Crédit : NPO Energomach.

A la même période, le 17 mai 1974, un décret du gouvernement (n°P137/VII) demande à Sergueï AFANASSIEV, le Ministre du MOM, et à Valentin GLOUCHKO de définir un planning pour le projet MTKS dans un délai de quatre mois. Après de longues discussions, le MOM et le GUKOS s'accordent pour définir un MTKS ayant les mêmes capacités que la navette américaine [1].

Au second semestre 1975, le projet MTKS est baptisé Bourane (un nom qui sera repris pour un autre projet, plus célèbre) et inclut un avion orbital de 120 tonnes, appelé OS-120. La NPO Energuia de GLOUCHKO est chargée du développement, et se base sur le concept retenu par la NASA [1].

Fig. 4 : Le projet d'avion orbital OS-120.
Crédit : Vadim LOUKACHEVITCH.

Il en ressort un MTKS au design très similaire à celui de la navette américaine, à ceci près que les deux étages à ergols solides SRB (Solid Rocket Boosters) sont remplacés par quatre étages à propulsion liquide. Ce choix est motivé, d'une part, par le manque d'expérience soviétique dans la propulsion solide et, d'autre part, par le besoin d'avoir une poussée supérieure à celle de la navette américaine du fait de la latitude plus élevée de son site de lancement (46° à Baïkonour, contre 28° à Cap Canaveral) [1].

Toutefois, les études de la NPO Energuia montrent que ce concept n'est pas réalisable, notamment du fait de l'absence de moyens d'essais adaptés en Union soviétique. Le MOM et le Ministère de la Défense publient un arrêté le 29 juillet 1975 qui met fin au projet OS-120, et qui lui préfère un concept plus indépendant de la navette américaine [1].

Bibliographie

[1] LOUKACHEVITCH, V., Советская копия шаттла - орбитальный корабль ОС-120, Novosti Kosmonavtiki n°08-2006, p. 64


Dernière mise à jour : 16 novembre 2014