BOR | Histoire

1. Les démonstrateurs BOR-1, BOR-2 et BOR-3

En 1966, l'Union soviétique se lance dans l'ambitieux programme Spirale, qui consiste en la réalisation d'une navette spatiale en forme de corps portant. C'est la NPO Molnia qui se voit confier la tâche, et immédiatement deux grands problèmes se posent aux ingénieurs : l'aérodynamique et la protection thermique.

L'URSS n'a aucune expérience dans ces domaines et en conséquence aucune donnée fiable n'est disponible. Très vite, il devient évident que la réalisation de Spirale passe par une meilleure connaissance du comportement d'un corps portant en phase de rentrée atmosphérique.

Il est donc décidé de lancer un programme d'étude visant à éclaircir ces questions. C'est ainsi que naît le concept d'avion-fusée orbital sans pilote, ou BOR (Беспилотный орбитальный ракетоплан). Trois types de véhicules sont construits : les BOR-1, puis les BOR-2, et enfin les BOR-3. Il s'agit de modèles réduits de l'avion spatial (OS) du programme Spirale.

Les BOR-1 ne sont pas destinés à voler mais servent juste aux essais statiques. Il s'agit de modèles à l'échelle 1:3 de l'OS, d'une longueur de 3m et d'une masse de 800kg. Un BOR-1 est lancé le 15 juillet 1969 sur une trajectoire suborbitale par une fusée Cosmos-3 (11K65). Le véhicule rentre dans l'atmosphère à la vitesse de 13000km/h.

Les démonstrateurs BOR-2 sont construits au même format que les BOR-1 (échelle 1:3, 3m de long pour 800kg), mais disposent d'une protection thermique plus élaborée. Ils sont lancés à plusieurs reprises sur des trajectoires suborbitales par des fusées Cosmos-3. Le premier vol intervient le 6 décembre 1969.

Fig. 1.1 : Un démonstrateur BOR-2.
Crédit : DR.

Fig. 1.2 : Un démonstrateur BOR-2.
Crédit : DR.

Les BOR-3 ne diffèrent des BOR-2 que par leur échelle (1:2 au lieu de 1:3).

Les essais en vol des BOR-2 et BOR-3 durent jusqu'en 1974 et se déroulent tous selon le schéma suivant : les véhicules prennent d'abord de la vitesse (comprises entre Mach 3 et Mach 14 suivant l'essai) puis ils rentrent dans l'atmosphère. Leur nez s'échauffe alors à des températures comprises entre 1500°C et 1800°C, notamment à cause de leur très fort angle d'attaque (45°).

Fig. 1.4 : Un démonstrateur BOR-3.
Crédit : DR.

Tous ces vols sont analysés en profondeur par les ingénieurs de la NPO Molnia, et il en ressort que le concept de corps portant permet une bonne manœuvrabilité et une bonne stabilité. La voie est ouverte pour aller plus loin.

2. Les démonstrateurs BOR-4

En 1976, le programme Spirale est abandonné en faveur du programme Bourane. Les véhicules BOR ne sont pas pour autant envoyés à la casse. En effet, le problème crucial de la protection thermique se pose toujours, et les données déjà recueillies avec les BOR-1 à -3 ne sont pas suffisantes.

La construction d'un nouvel engin est donc décidée; il s'appellera BOR-4 et gardera la forme de l'OS de Spirale (à l'échelle 1:2). Chez la NPO Molnia, ce programme est placé sous la responsabilité de V. GRESS. C'est l'Institut Gromov qui est chargé de la construction. Sept exemplaires (n°401 à 407) sont créés.

Fig. 2.1: Schéma du démonstrateur BOR-4.
Crédit : DR.

Les BOR-4 sont longs de 3,859m pour une largeur de 2,8m. Ils ont une masse de 1450kg au lancement, qui n'est plus que de 1074kg une fois en orbite pour finir à 795kg au moment de l'atterrissage. Ils disposent d'un système de télémétrie qui permet de transmettre les données fournies par de nombreux capteurs. Ceux-ci enregistrent leurs mesures et les transmettent en "paquets" lorsqu'ils passent au-dessus de navires spécialement affrétés (les bâtiments affectés au programme sont le Kosmonavt Patsaïev, le Kosmonavt Dobrovolski et le Tchoumikann). Lors de la descente, les transmissions avec une station terrestre sont également possibles.

La protection thermique est faite de 118 tuiles en fibre de quartz. Le nez et les bords d'attaque des ailes bénéficient d'une protection plus importante en carbone-carbone (C-C). Chaque véhicule est équipé d'un moteur de freinage qui lui permet de quitter son orbite pour rentrer dans l'atmosphère. Huit petits moteurs de contrôle d'attitude sont également intégrés. Ils tirent leurs consignes du système de guidage inertiel.

Fig. 2.2 : Un démonstrateur BOR-4.
Crédit : DR.

Les ailes des BOR-4 sont mobiles. Pour le lancement, elles sont repliées et une fois en orbite elles se positionnent de manière à assurer une portée suffisante au vaisseau quand il rentrera et se trouvera à une altitude comprise entre 60 et 70km avec un angle d'attaque compris entre 52 et 54° (sauf pour le premier vol où il était de 57°). Lors du vol atmosphérique, la variation de l'angle de déflection des ailes permet de contrôler le roulis.

Les BOR-4 sont mis sur orbite par des lanceurs K65M-RB5 lancés depuis Kapoustine Yar. Après être rentrés dans l'atmosphère, ils décrivent une spirale verticale afin de perdre de leur vitesse. Lorsqu'ils arrivent à environ 7500m d'altitude, ils ouvrent un parachute et amerrissent. La vitesse lors du contact avec l'eau et de 7 à 8m/s. Ils sont ensuite récupérés par la Marine soviétique.

Fig. 2.3 : Un démonstrateur BOR-4.
Crédit : DR.

Le premier vol d'un BOR-4, en décembre 1980, est suborbital. Le véhicule n'est donc pas équipé d'une protection thermique identique à celle qui sera sur les BOR-4 orbitaux, et cette version reçoit l'appellation BOR-4S ("S" pour suborbital). A cette première expérience succèdent quatre vols orbitaux et deux vols suborbitaux entre 1982 et 1987. Un cinquième vol orbital était prévu, mais il est devenu superflu car les ingénieurs disposaient de toutes les données dont ils avaient besoin.

Les exemplaires qui n'ont pas volé ont été utilisés pour des essais au sol. Cette campagne d'essais est un formidable succès et elle permet à l'Union soviétique d'acquérir un immense savoir-faire dans le domaine des phénomènes liés à la rentrée atmosphérique. L'un des progrès majeurs permis par le programme BOR-4 fut de constater que la vitesse de diminution de la température à la surface des boucliers avait été sous-estimée, et que la protection pouvait en conséquence être réduite. Le gain de masse pour l'orbiteur Bourane est très intéressant.

Date Désignation Véhicule
1 5 décembre 1980 - 401
2 3 juin 1982 Cosmos 1374 404
3 15 mars 1983 Cosmos 1445 403
4 27 décembre 1983 Cosmos 1517 405
5 4 juillet 1984 -
6 19 décembre 1984 Cosmos 1614 406
7 20 décembre 1987 -
Tableau 1 : Liste des vols des véhicules BOR-4

Au début du programme BOR-4, il avait été décidé de procéder à une récupération dans l'océan indien. La taille des espaces qu'il offre semblait en effet être un atout non négligeable, compte tenu de la possibilité d'un retour imprécis. Cependant, une telle décision donna rapidement naissance à quelques problèmes diplomatiques.

Il est important de rappeler que toutes les activités liées au programme BOR étaient classées secret défense; mais quand le premier BOR-4 orbital (Cosmos 1374) est lancé, les Occidentaux remarquent rapidement que sa trajectoire est inhabituelle. Les spécialistes en déduisent que ce que l'URSS vient d'envoyer dans l'Espace est destiné à rentrer dans l'atmosphère. Ils parviennent même à calculer la zone d'atterrissage : l'océan indien.

Fig. 2.5 : Un démonstrateur BOR-4S.
Crédit : DR.

L'Australie, pays allié le plus proche, est alertée et envoie sa Marine sur les lieux afin d'éclaircir la question. Et c'est ainsi que la récupération du très secret Cosmos 1374 se déroule sous les yeux des militaires australiens !

La situation sera réitérée pour Cosmos 1445, et à partir du troisième vol orbital, la décision est prise de faire atterrir les BOR-4 dans la Mer Noire. Ce choix permet par ailleurs de faciliter la tâche aux bâtiments de la Marine soviétique, car la zone à quadriller est nettement moins importante.

Fig. 2.6 : Le véhicule n°405 après un essai au sol d'échauffement.
Crédit : DR.

3. Les démonstrateurs BOR-5

Au début des années 1980, alors que les BOR-4 continuent d'accumuler des données sur l'environnement thermique rencontré lors des rentrées atmosphériques, les ingénieurs de la NPO Molnia ressentent le besoin de mieux connaître l'ensemble des phénomènes aérodynamiques auxquels sera confronté Bourane lors de son vol de retour. Il est donc décidé de construire un nouveau type de démonstrateurs. Ceux-ci sont désignés BOR-5, ont une masse de 1450kg, et sont en fait des modèles réduits au 1:8 de Bourane.

Chez NPO Molnia, le programme BOR-5 est placé sous la responsabilité du Dr. E.A. SAMSONOV. L'ingénieur en chef chargé de la réalisation est U.P. BOGOV. Il sera plus tard remplacé par I.G. GRATCHEV.

Les BOR-5 sont lancés par des K65M-RB5 de Kapoustine Yar sur des trajectoires suborbitales culminant à l'altitude de 210km. C'est arrivé à cette hauteur que le véhicule se sépare de sa fusée porteuse et entame son retour au sol. Cette phase de retour se fait selon une trajectoire balistique. La vitesse au moment de la séparation du lanceur est d'approximativement 5km/s.

A partir de 50km d'altitude, les BOR-5 ne suivent plus le même schéma de vol que les orbiteurs Bourane qu'ils simulent. En effet, des contraintes aérodynamiques obligent les ingénieurs à donner aux démonstrateurs des vitesses plus grandes que celles que Bourane rencontrera. En conséquence, l'échauffement dû aux frottements de l'air est plus important, et une protection thermique plus résistante que les tuiles en fibres de quartz dont Bourane sera équipé est nécessaire.

Arrivé à 7 ou 8km d'altitude, les BOR-5 sont entraînés volontairement et automatiquement dans une spirale. Le but de cette manœuvre est de réduire de façon significative la vitesse lors du contact avec le sol. A 3km d'altitude, le parachute est ouvert. Finalement, l'atterrissage se fait avec une vitesse verticale d'environ 7 ou 8m/s.

Le système automatique de guidage fonctionne grâce aux données fournies par une centrale inertielle. Lors du vol exoatmosphérique, l'orientation angulaire est contrôlée par des petits moteurs à réaction répartis sur tout l'appareil. Ensuite, dans la phase endoatmosphérique, l'orientation est réalisée par modification de la géométrie de la surface portante, exactement comme sur un avion conventionnel.

Entre 1984 et 1988, cinq BOR-5 sont lancés. Les deux premiers vols étaient principalement destinés à tester le lanceur dans la nouvelle configuration qui lui était donnée. Les trois vols suivants étaient pleinement dédiés à l'étude du comportement des BOR.

Date Véhicule
1 5 juillet 1984 501
2 16 avril 1985 502
3 25 décembre 1986 503
4 26 août 1987 504
5 21 juin 1988 505
Tableau 2 : Liste des vols des véhicules BOR-5.

4. Autres applications

La NPO Molnia propose à la fin des année 1970 son projet de navette spatiale militaire Ouragan basée sur le concept des BOR-4.

D'autre part, les données amassées tout au long du programme BOR ont été utilisées pour la conception du lanceur aéroporté MAKS. Au cours des années 1990, la société allemande MAN a eu accès à ces mêmes données et les a utilisées pour le programme de capsule européenne CTV.

Mais l'application la plus inattendue et la plus poussée intervient en 1983, quand le centre Langley de la NASA acquiert un modèle du BOR-4 qu'il utilise dans le cadre de son programme HL-20.


Dernière mise à jour : 24 mars 2013