En 1959, alors que le programme
Vostok reçoit son approbation, le problème de la
sélection de ses futurs pilotes commence à se poser.
L'environnement spatial étant à cette époque
totalement inconnu, les autorités soviétiques ne
savent pas selon quels critères les aspirants
"cosmonautes" doivent être choisis. Trois catégories
d'individus semblent être adaptées :
-
Les sous-mariniers, qui sont
habitués à vivre en isolement pendant de longues
durées;
-
Les alpinistes, qui sont habitués
au travail en haute altitude;
-
Les pilotes, qui sont habitués à
travailler sur des engins ressemblant à des
vaisseaux spatiaux.
Il apparaît rapidement que les
meilleurs sujets sont parmi les pilotes de chasse.
Ceux-ci ont en effet déjà passé une sélection
médicale draconienne et de plus ils sont déjà
qualifiés pour le saut en parachute (l'atterrissage
dans le cadre du programme Vostok se fait en effet
au moyen de parachutes). Leur qualité de militaires
assure les autorités qu'ils ne poseront pas de
problèmes vis-à-vis du secret défense. Les critères
plus particuliers à la qualification pour un vol
spatial seraient :
-
un âge inférieur à 30 ans;
-
une taille inférieure à 1,70m;
-
un poids inférieur à 70kg;
De plus, étant donné l'aspect
politique du programme spatial, le passé et les
opinions des candidats seront scrupuleusement
examinés.
C'est l'armée de l'air qui se voit
confier la responsabilité de la sélection, qui passe
sous la responsabilité du maréchal Konstantin
Andreïevitch VERCHININE. Ses adjoints sont Oleg G.
GAZIENKO, Abram M. GUENINE et Nikolaï N. GOUROVSKI.
Le colonel-général Filip A. OGOLTSOV s'occupe des
critères politiques, et c'est le colonel Evgueni
KARPOV qui est nommé pour mener à bien
la sélection. KOROLIOV a demandé qu'on lui fournisse
un groupe d'au moins vingt hommes. Après un premier
examen des candidatures, il apparait qu'il ne sera
pas possible de trouver vingt pilotes satisfaisant
tous les critères. Ceux-ci sont rendus alors
sensiblement moins stricts.
L'équipe de KARPOV commence à
arpenter les bases aériennes de l'ouest de l'Union
soviétique dès le mois d'août 1959. Elle arrive à
dégager 3461 dossiers répondant à peu près aux
critères demandés.
Commence alors une série
d'entretiens. Lorsque les pilotes demandent en quoi
consiste ce fameux "projet" sur lequel ils peuvent
être transférés, on leur répond simplement qu'il
s'agit d'un "appareil d'un type totalement nouveau".
De nombreux pilotes pensent que c'est aux
hélicoptères qu'il est fait référence ! De ces
entretiens ressortent 347 candidats. Un premier
examen médical au TsVNIAG réduit ce nombre à 206.
Parmi ceux-ci, 52 refusent de se plier aux tests
suivants. Il n'en reste donc que 154. Après des
examens plus poussés, 105 se sont avérés inaptes sur
le plan médical, et 20 autres sont renvoyés dans
leur base d'origine. Il n'en reste donc que 29. Ces
derniers sont soumis à de nouveaux tests, toujours
plus difficiles.
L'un d'entre eux, la chambre
d'isolement, retient particulièrement l'attention de
ceux qui l'ont connu. Il s'agit d'une pièce
hermétique dans laquelle les candidat-cosmonautes
étaient enfermés pendant des périodes pouvant aller
jusqu'à dix jours. Ils y subissaient de nombreux
tests psychologiques et physiologiques, et ce dans
un silence absolu rendu possible par l'absence de
perturbation de l'atmosphère intérieure.
Quelque
fois, après plusieurs jours de silence total, des
hauts parleurs diffusaient d'énormes sons. Les
médecins contrôlant l'épreuve s'amusaient aussi à
dérégler le rythme de l'éclairage, mettant ainsi à
l'épreuve l'horloge biologique du candidat. De temps
en temps, la lumière étaient tellement intense
qu'elle en était presque aveuglante. A la sortie de
la chambre d'isolement, les candidats étaient
soudoyés par la grande quantité de sons de toute
sorte qu'ils entendaient. Certains étaient heureux
d'être sortis, mais certains demandaient à y être
ré-enfermés pour échapper à cette "avalanche" de
sons !
D'autres types de tests ont été
assez marquants pour les candidats au Cosmos, comme
la chambre de décompression, où l'on faisait baisser
la pression jusqu'à l'asphyxie du candidat afin de
simuler l'altitude.
Finalement, le 20 février 1960, la
Commission d'Etat approuve la formation d'une unité
de cosmonautes. La
construction du TsPK (Centre d'Entraînement des
Cosmonautes) a été décidée peu de temps avant. Le
premier groupe comprend vingt candidats cosmonautes :
Ivan Nikolaïevitch ANIKEÏEV
(décédé)
Pavel Ivanovitch BELIAÏEV (décédé)
Valentin Vassilievitch BONDARENKO
(décédé)
Valeri Fiodorovitch BIKOVSKI
Gueorgui Stepanovitch CHONINE (décédé)
Valentin Ignatievitch FILATIEV
(décédé)
Youri Alekseïevitch GAGARINE (décédé)
Viktor Vassilievitch GORBATKO (décédé)
Anatoli Yakovlievitch KARTACHOV
(décédé)
Evgueni Vassilievitch KHROUNOV
(décédé)
Vladimir Mikhaïlovitch KOMAROV
(décédé)
Alekseï Arkhipovitch LEONOV
Grigori Grigorievitch NELIOUBOV
(décédé)
Andrian Grigorievitch NIKOLAÏEV
(décédé)
Pavel Romanovitch POPOVITCH
(décédé)
Mars Zakirovitch RAFIKOV (décédé)
Hermann Stepanovitch TITOV (décédé)
Valentin Stepanovitch VARLAMOV
(décédé)
Boris Valentinovitch VOLINOV
Dmitri Alekseïevitch ZAÏKINE
(décédé)
Ces vingt hommes sont officiellement
présentés au maréchal VERCHININE le 7 mars 1960, et
ils commencent l'entraînement dès le 14 mars (sauf
BELIAÏEV, BONDARENKO, ZAÏKINE, FILATIEV, VARLAMOV,
KARTACHOV et RAFIKOV qui furent transférés au TsPK
avec un peu de retard).
Très vite, KARTACHOV et VARLAMOV
sont écartés du groupe. BONDARENKO n'a lui non plus
pas eu de chance : il trouve la mort avant même le
premier vol habité.
En septembre 1961, les cosmonautes
rencontrent pour la première fois Sergueï Pavlovitch
KOROLIOV. Ce dernier les interroge à tour de rôle,
et dans l'ordre alphabétique, sur leur vie et leur
carrière de pilote. Alekseï LEONOV raconte la scène
de la façon suivante : "Quand KOROLIOV en arriva au
nom de Youri GAGARINE, il sembla immédiatement se
prendre de sympathie pour lui. Youri se mit à rougir
et parut légèrement troublé (...). KOROLIOV posa sa
liste devant lui, comme s'il avait oublié les
autres, et demanda à Youri de lui parler de son
enfance et de sa carrière de pilote. Ils discutèrent
ainsi pendant près de quinze minutes.
Plus tard dans le mois de septembre
1961, quinze des dix-sept cosmonautes restants sont
envoyés à l'Académie des Ingénieurs de l'Air
Zhoukovski sur décision de KOROLIOV (les deux
autres, BELIAÏEV et KOMAROV, avaient déjà été
diplômés de cette académie). Le constructeur
principal pense en effet qu'un cosmonaute complet
doit non seulement savoir piloter, mais aussi
construire. Hermann TITOV racontera de la façon
suivante le point de vue de KOROLIOV sur l'académie
Zhoukovski : "Sergueï Pavlovitch ne s'est pas
contenté de nous "caser" à l'Académie. Il suivait
jalousement notre progression. Quand l'un de nous
allait le voir avec une idée nouvelle, il sortait
son "cahier noir" dans lequel il notait tous nos
résultats, et disais à peu près ceci : "Commence par
rattraper tel ou tel cours, et après seulement tu
viendras me voir avec tes idées.""
L'enseignement à l'Académie
Zhoukovski est très dur, un peu à la mode de nos
classes préparatoires françaises. Alekseï LEONOV se
souvient :
"Quand mes souvenirs de
l'Académie reviennent, je n'en dors pas de
la nuit. Je me revois comparaître devant
CHVEÏKINE, le prof de maths...
Jamais je n'aurai vu de
personnage aussi sévère et implacable que
lui. Tous les subterfuges que nous avons
imaginés pour le prendre par les sentiments
dans les situations "critiques" ont échoué
lamentablement. A peine entré dans la salle
de cours, il n'était pas encore monté sur
l'estrade qu'il désignait déjà les
intervenants : "Vous... Vous... Vous..." Le
tableau partagé en six, il faisait plancher
six personnes à la fois sur ses exercices.
Ce n'était pas toujours
concluant... Un jour, j'ai tenté de le
"débaucher" : "Piotr Ivanovitch, et si vous
alliez au match de foot avec nous, voir
jouer les Italiens. On a des billets..."
Réponse : "Intéressant, en effet, tenez,
passez donc au tableau pendant que vous avez
la bouche ouverte."
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Les cosmonautes sortent diplômés de
l'Académie au cours de l'année 1968. Entre temps,
GAGARINE, TITOV, NIKOLAÏEV, POPOVITCH et BIKOVSKI
ont eu le privilège de voler à bord de vaisseaux
Vostok. RAFIKOV, NELIOUBOV, ANIKEÏEV et FILATIEV ont
eu moins de chance et se sont vus renvoyés du groupe
pour raisons disciplinaires. Plus tard, ce sera au
tour de ZAÏKINE d'être écarté, mais pour raisons
médicales cette fois. KOMAROV, lui, a trouvé la mort
en 1967 dans l'accident de
Soyouz-1.
BELIAÏEV, CHONINE, GORBATKO,
KHROUNOV, LEONOV et VOLINOV connaîtront eux aussi
l'Espace, mais à bord de vaisseaux
Voskhod ou
Soyouz. Tous en reviendront.
Aujourd'hui, seuls trois de ces vingt
hommes sont encore en vie.
Bibliographie :
The Rocket Men, Rex HALL,
David SHAYLER, Ed. Springer&Praxis
Novosti Kosmonavtiki n°4-2001 (219)
GAGARINE, ou le rêve russe de l'espace, Yves
GAUTHIER
Two Sides of the Moon, David SCOTT et Alekseï
LEONOV
Dernière mise à jour :
18 juin 2017 |