Soyouz-1 | Chronologie

1. Le lancement

Le 3ème lanceur Soyouz (11A511 n°У15000-03) décolle du pas de tir n°5 (17P32-5) de la zone n°1 du cosmodrome de Baïkonour le 23 avril 1967 à 00h35'00,100" GMT.

La charge utile est constituée du vaisseau spatial Soyouz-1 (11F615 n°4), qui est placé avec succès sur une orbite basse (196,2km x 225km x 51°43'). Il est occupé par Vladimir KOMAROV.

Fig. 1.1 : Décollage de Soyouz-1, le 23 avril 1967.
Crédit : Raumfahrt unter Hammer und Sichel.

Il s'agit du neuvième vol habité entrepris par l'Union soviétique, et du premier réalisé avec un vaisseau Soyouz. Pour la première fois, la mission est supervisée par un Groupe Principal de Contrôle des Opérations (GOGU), basé à la station de télémesure d'Eupatorie, en Crimée, et dirigé par le colonel Pavel AGADZHANOV.

2. Incidents après la mise sur orbite

Juste après la mise en orbite, deux des stations de télémesure qui constituent le réseau de poursuite, NIP-4 et NIP-15, envoient à Eupatorie les premières données télémétriques. Il apparaît que toutes les antennes se sont correctement déployées, ainsi que le panneau solaire droit. En revanche, le capteur de fin de course du panneau solaire gauche n'a pas envoyé d'informations. Cela peut signifier soit qu'il y a un problème avec le capteur, soit que le panneau ne s'est effectivement pas déployé. Pour déterminer ce qu'il en est réellement, il faut attendre l'orbite suivante pour avoir les mesures d'intensité. Si le courant est à son niveau nominal, c'est que le problème venait du capteur.

Mais après analyse des premières données, il s'avère que Soyouz-1 a bien d'autres problèmes. D'une part, l'antenne de télémesure de secours ne s'est pas déployée, et d'autre part, le capteur 45K, qui permet de repérer les étoiles et le Soleil afin d'orienter le vaisseau lors des manœuvres dynamiques, ne fonctionne pas.

Lors de la deuxième orbite, Vladimir KOMAROV communique certains paramètres par radio. Il confirme que le panneau solaire gauche ne s'est pas déployé, et il annonce que l'intensité du courant électrique n'est en conséquence que de 14A, bien en-deçà de la valeur nominale de 24A. Les communications sur ondes courtes ne fonctionnent pas, et KOMAROV affirme qu'il a essayé d'orienter son vaisseau manuellement, mais sans succès, en utilisant pour s'orienter le capteur ionique.

Il s'avère donc que Soyouz-1 a subit trois dysfonctionnements majeurs :

Problème n°1 : non-déploiement du panneau solaire gauche

Les conséquences sont multiples : non seulement le vaisseau est privé de la puissance générée par le panneau gauche mais, comme le panneau droit s'est déployé correctement, le vaisseau est maintenant fortement asymétrique, ce qui a provoqué l'interruption de la rotation longitudinale selon le « mode barbecue ». Quand le moment sera venu d'effectuer la manœuvre de freinage pour rentrer dans l'atmosphère, cette configuration peut générer une forte instabilité.

Problème n°2 : mauvais fonctionnement du capteur ionique

De toute évidence, ce système ne fonctionne pas correctement, ce qui explique pourquoi KOMAROV n'est pas parvenu à orienter le vaisseau manuellement.

Problème n°3 : perte du capteur 45K

C'est le problème le plus grave. Si Soyouz-1 ne peut pas s'orienter, il ne pourra pas réaliser le rendez-vous avec Soyouz-2. Et la rentrée dans l'atmosphère sera elle-même très problématique, car pour allumer le moteur SKD il faut orienter le vaisseau selon un angle précis, sans quoi il risque soit d'augmenter son altitude au lieu de la diminuer, soit d'aborder les couches supérieures de l'atmosphère de façon trop abrupte, ce qui pourrait conduire à sa dislocation.

Lors de la cinquième orbite, la Commission d'Etat prend la décision d'annuler le lancement de Soyouz-2. Elle ordonne au GOGU de faire atterrir Soyouz-1 lors de la dix-septième orbite, avec les orbites 18 et 19 en secours. Au-delà, les batteries seront vides, le vaisseau n'aura plus de courant, et KOMAROV sera définitivement bloqué en orbite.

3. La rentrée dans l'atmosphère

Entre les orbites 7 et 13, aucune communication ne sera possible car le vaisseau ne passera pas au-dessus de l'Union soviétique. Pendant ce temps KOMAROV tentent à plusieurs reprises de mettre son vaisseau en rotation pour réduire les contraintes thermiques et permettre à son unique panneau solaire de capter un maximum d'énergie. Il cherche à s'orienter manuellement en utilisant le capteur ionique, mais il n'obtient toujours aucun résultat.

C'est pourtant sur ce capteur qu'il va falloir se fier pour la rentrée dans l'atmosphère, faute de pouvoir utiliser le 45K. Lors de la seizième orbite, GAGARINE, qui est présent à Eupatorie, transmet les instructions à KOMAROV.

Le commandant de Soyouz-1 tente de rentrer dans l'atmosphère lors de l'orbite n°17, mais il n'y parvient pas car il traverse une « poche d'ions » qui rend le capteur ionique aveugle. Le vaisseau en est maintenant à sa dix-huitième orbite, et les batteries sont quasiment épuisées. Il y a encore les batteries de secours, qui ne dureront que une ou deux orbites.

A Eupatorie, le GOGU décident de tenter la rentrée en mode manuel. GAGARINE transmet à KOMAROV les instructions suivantes :

Oriente manuellement le vaisseau sur l'horizon terrestre à 02h00 GMT pendant la phase éclairée de l'orbite, bascule de 180° pour t'orienter en vue de la rentrée. Avant d'entrer dans l'ombre de la Terre, active la stabilisation avec les gyroscopes KI-38. Quand tu émerges de l'ombre, ajuste l'orientation manuellement, et maintien-toi comme ça. A 02h57'15" GMT met le moteur SKD en service. Il doit fonctionner pendant 150". Au bout de 150", si l'intégrateur ne le fait pas, arrête le moteurs.

KOMAROV n'a jamais été entraîné pour ce type de scénario, mais il comprend parfaitement ce qu'il doit faire. Il réussit à s'orienter manuellement et allume le SKD environ à l'heure dite. Il fonctionne pendant 146" et s'arrête à 02h59'38,5" GMT. Soyouz-1 entame enfin sa rentrée dans l'atmosphère.

Mais à 03h14'09" GMT, l'alarme « ACCIDENT-2 » apparaît dans le vaisseau. RAOUCHENBAKH, qui est présent à Eupatorie, rassure tout le monde : cela signifie simplement que le système d'orientation DPO n'a pas réussi à stabiliser le vaisseau du fait de son asymétrie. Quand les gyroscopes KI-38 ont détecté un écart mesure-consigne de 8°, ils ont annulé le mode de descente normal. Le retour se fera donc selon une trajectoire balistique, ce qui n'est pas très grave. Après tant de péripéties, Vladimir KOMAROV est donc tiré d'affaire.

A 03h15'14" GMT, les capteurs de température détectent la rentrée dans l'atmosphère et lancent la séquence de séparation des trois compartiments. A 03h22 GMT, les militaires détectent Soyouz-1 et confirment qu'il suit la trajectoire prévue par le GOGU. Il va atterrir à 65km à l'est de la ville d'Orsk, dans le sud de la Russie.

4. L'atterrissage

A Eupatorie, tout le monde est soulagé. L'équipe du GOGU vient de passer plus de vingt-quatre heures de stress intense, mais finalement tout est bien qui finit bien. Des bouteilles sont ouvertes pour fêter la fin heureuse de cette mission. Un officier vient chercher GAGARINE et lui dit qu'il a un appel urgent de Moscou. Boris TCHERTOK, constructeur général adjoint du TsKBEM, se souvient :

Au bout de dix minutes, GAGARINE est revenu. Son habituel sourire avait disparu.

« J'ai reçu l'ordre de me rendre immédiatement à Orsk. L'atterrissage n'a pas été nominal, je n'en sais pas plus pour le moment. »

Boris TCHERTOK
Ракеты и люди, Vol. 3
Traduction Nicolas PILLET

L'atterrissage a en effet bien eu lieu, le 24 avril 1967 à 03h22'52" GMT. Il a conclu un vol de 1 jour 2 heures et 47 minute. Mais le parachute primaire (OSP) n'est pas sorti de son compartiment, et le parachute de secours (ZSP) n'a pas pu se déployer. En conséquence de quoi, Soyouz-1 n'a pas été ralenti dans sa chute et est entré en contact avec le sol à une vitesse comprise entre 35 et 40m/s. L'ingénieur-colonel Vladimir KOMAROV a été tué sur le coup.

Etant donné la vitesse du vaisseau, le bouclier thermique n'a pas pu être largué. En conséquence, l'altimètre gamma de s'est pas mis en service et la commande d'allumage des moteurs de freinage (DMP) n'a pas été envoyée, privant Soyouz-1 de la décélération qu'ils auraient pu lui conférer.

Fig. 4.1 : Le pistolet Makarov de KOMAROV, retrouvé parmi les décombres.
Musée de l'Artillerie de Saint-Pétersbourg. Crédit : Nicolas PILLET.

L'impact avec le sol a creusé un fossé de plus d'un mètre de profondeur. Des riverains sont les premiers à arriver sur les lieux, et ils tentent d'éteindre l'incendie en jetant de la terre sur l'épave de Soyouz-1. Quand les équipes de sauvetage atterrissent en hélicoptère, elles utilisent des extincteurs.

Pavel TSYBINE et Sergueï ANOKHINE sont sur place. Ils réalisent que tout le vaisseau est complètement carbonisé suite à la combustion des 30kg de peroxyde d'hydrogène du système SIOS. ANOKHINE déclarera :

Je ne peux même pas vous dire combien d'avions en flammes j'ai vus pendant la guerre, mais c'était sans comparaison avec ce que j'ai vu ici. Le peroxyde d'hydrogène s'avère bien plus horrible que le kérosène.

Boris TCHERTOK
Ракеты и люди, Vol. 3
Traduction Nicolas PILLET

5. Les funérailles de Vladimir KOMAROV

Quand le général KAMANINE arrive sur le site du crash, il demande avant tout que le corps de Vladimir KOMAROV soit retrouvé et extrait de l'épave. Ses restes sont immédiatement envoyés à Orsk. A côté de l'épave, un petit monticule est érigé, et Sergueï ANOKHINE y dépose sa casquette.

Un communiqué est envoyé à l'agence TASS. Le lancement avait été annoncé la veille, et des dépêches informaient le public du déroulement de la mission. Evidemment, les différents incidents techniques n'ont pas été révélés. En revanche, le 25 avril 1967, la mort de KOMAROV due au non-déploiement du parachute est annoncée.

Les restes du cosmonaute sont incinérés, et l'urne funéraire est exposée à la Maison Centrale de l'Armée soviétique Frounze (TsDSA), à Moscou. Le Præsidium du Soviet Suprême décide de décerner à KOMAROV son second titre de Héros de l'Union soviétique.

Le 26 avril 1967, un cortège militaire accompagne l'urne de la TsDSA jusque sur la Place Rouge. GAGARINE, KELDYCH et le politicien Mikhaïl SOUSLOV s'expriment depuis le Mausolée de LENINE, puis SOUSLOV place l'urne dans le Mur du Kremlin.

6. L'enquête

Après le crash, Evgueni OUTKINE se charge de rapatrier les restes du vaisseau au TsKBEM, à Podlipki près de Moscou. Malheureusement, la cassette de sauvegarde du système de télémétrie Mir-3 est calcinée et ne fournit aucune information. Le Maréchal OUSTINOV nomme sept sous-commissions chargées de déterminer les causes de l'accident.

Que ce soit pour le parachute primaire (OSP) ou le parachute secondaire (ZSP), la séquence d'ouverture est la même. Un premier parachute de tirage (VP) s'ouvre, il tire le parachute de freinage (TP) qui ralentit suffisamment le vaisseau pour pouvoir permettre l'ouverture du parachute principal (OP).

Lors de la descente de Soyouz-1, les parachutes de tirage et de freinage se sont bien ouverts, mais ils n'ont pas permis de sortir le parachute principal de son compartiment. Les capteurs ont détecté que la vitesse de descente était trop élevée, et ils ont déclenché la séquence d'ouverture du parachute secondaire (ZSP). Mais comme le parachute de freinage du parachute primaire n'avait pas été largué, il a empêché le parachute secondaire de se déployer.

Vidéo 1 : Animation montrant la séquence d'ouverture des parachutes de Soyouz-1.
Crédit : DR.

Pourquoi le parachute principal n'a pas pu être extrait de son container ?

La commission d'enquête conclut officiellement que du fait d'une différence de pression (ΔP) trop importante, le compartiment des parachutes s'est déformé et a compressé le parachute principal. En conséquence, le parachute de freinage n'a pas délivré suffisamment de force pour pouvoir le sortir.

Des ingénieurs du TsKBEM réalisent un essai sur un Soyouz : ils tirent sur le parachute de freinage et mesurent l'effort avec un dynamomètre, et ils découvrent que la force générée par un Compartiment de Descente de 2800kg n'est pas suffisante pour extraire le parachute principal de son container.

Il s'agit donc d'un très grave défaut de conception. Si Soyouz-1 n'avait pas rencontré ses problèmes de panneau solaire et d'orientation, le lancement de Soyouz-2 aurait été autorisé, et son équipage aurait connu le même sort que KOMAROV. Pour éviter que cette situation ne se reproduise, le container des parachutes est agrandi, de manière à ce que le parachute soit moins compressé.

Pourquoi le poids du vaisseau n'était-il pas suffisant pour extraire le parachute ?

L'une des raisons qui empêchait le parachute de s'extraire est la rugosité de son container. A Baïkonour, une fois que la protection thermique est appliquée, le Compartiment de Descente est placé dans un autoclave où la température est augmentée de manière à polymériser le protection.

Il semblerait que les couvercles des containers des parachutes n'étaient pas présents lors du passage de Soyouz-1 et Soyouz-2 dans l'autoclave. Des copeaux volatiles ont donc pénétré dans les containers et se sont déposés sur les parois, augmentant de façon significative la rugosité de celles-ci.

Pourquoi ce défaut n'a-t-il pas été détecté lors des vols précédents ?

Tous les vols précédents étaient non habités. Le contrôle qualité était donc moins important, et à chaque fois les vaisseaux ont été passés dans l'autoclave sans leurs containers à parachute. Tout simplement parce que ces derniers étaient toujours livrés en retard !

Pour les deux premiers vaisseaux habités, le process a été respecté avec beaucoup plus de rigueur, et les containers ont été livrés à temps. Cette situation est particulièrement ironique !

D'autre part, les vaisseaux utilisés lors des largages par avion n'étaient pas équipés de protection thermique, et ils n'étaient donc évidemment pas soumis à l'autoclave.

Pourquoi le panneau solaire gauche ne s'est pas déployé ?

L'enquête a conclut qu'il est resté accroché à la structure du vaisseau.

Pourquoi le capteur 45K n'a pas fonctionné ?

Il se serait tout simplement embué, et n'était donc plus capable de distinguer les étoiles.

Bibliographie

[1] SYROMIATNIKOV, V., 100 Stories about Docking, Vol. 1
[2] TCHERTOK, B., Rockets and People, Vol. 3
[3] SIDDIQI, Asif, The Soviet Space Race with Apollo


Dernière mise à jour : 4 octobre 2014