Soyouz | Premiers succès

1. Le premier vol habité réussi

La Commission Militaro-industrielle (VPK) confirme cet objectif le 3 juillet 1968. Un vaisseau inhabité sera lancé en juillet, un vaisseau avec un cosmonaute en septembre, et une mission de type 1+3 en novembre.

Mais du retard est pris avec la qualification du parachute de secours et le lancement du vaisseau inhabité est reporté au 27 juillet, puis au 10 août. Le 3 août 1968, un essai de largage d'un SA se termine par un échec car le capot du compartiment des parachutes ne s'est pas ouvert. Le lancement a finalement lieu le 28 août 1968, et la mission de ce vaisseau, baptisé Cosmos 238, est un succès total. La voie est maintenant libre pour le retour aux vols habités.

Un nouvel essai des parachutes se solde par un échec le 20 septembre 1968, mais la cause est bénigne et le calendrier est maintenu. La mission « 0+1 » aura bien lieu le 25 octobre, suivie du vol « 1+3 » en décembre. Le 25 octobre 1968, le vaisseau n°11 est lancé sans équipage et baptisé Soyouz-2. Le cosmonaute Gueorgui BEREGOVOÏ embarque à bord du vaisseau n°10, baptisé Soyouz-3, le 26 octobre 1968.

Fig. 1.1 : Décollage de Soyouz-3.
Crédit : Космический испытатель.

Cette fois, les dysfonctionnements que KOMAROV avait rencontrés après sa mise sur orbite ne se produisent pas. BEREGOVOÏ effectue deux tentatives d'amarrage avec Soyouz-2 mais un problème technique l'empêche de les mener à bien. Et comme les ergols commencent à manquer, l'opération est abandonnée. Le cosmonaute peut alors pénétrer dans le Compartiment de Vie (BO), et il entame un vol en solitaire de quatre jours durant lequel il réalise quelques expériences scientifiques, ainsi que trois émissions de télévision qui permettent au public de découvrir pour la première fois l'intérieur d'un Soyouz.

Entre temps, le vaisseau inhabité est revenu sur Terre. Il a connu un problème d'orientation, mais cela ne l'a pas empêché d'effectuer un retour guidé et d'être récupéré. BEREGOVOÏ rentre à son tour le 30 octobre 1968, une fois encore selon une trajectoire contrôlée. Cette mission n'a certes pas atteint tous ses objectifs, mais elle constitue tout de même un très grand succès et relance le programme spatial soviétique.

Fig. 1.2 : Atterrissage de Soyouz-3.
Crédit : Космический испытатель.

2. Soyouz-4 rencontre Soyouz-5

Le prochain vol sera la fameuse mission « 1+3 » et devrait décoller à la mi-janvier 1969. Les deux vaisseaux sont expédiés à Baïkonour à la fin novembre 1968 et commencent à être préparés. Le 25 décembre 1968, les Etats-Unis impressionnent le monde entier en réussissant à placer le vaisseau Apollo VIII en orbite autour de la Lune.

Ainsi, le 13 janvier 1969, le cosmonaute Vladimir CHATALOV embarque à bord du douzième vaisseau 7K-OK. Mais pour la première fois dans l'histoire des vols spatiaux habités soviétiques, le décollage est ajourné de vingt-quatre heures. C'est donc le lendemain, le 14 janvier 1969, que Soyouz-4 est lancé.

Fig. 2.1 : Vladimir CHATALOV embarque à bord de Soyouz-4.
Crédit : TASS.

La mise sur orbite se passe normalement et le feu vert est donné pour le lancement du second vaisseau. Soyouz-5 décolle donc de Baïkonour le 15 janvier 1969 avec les cosmonautes VOLINOV, ELISSEÏEV et KHROUNOV.

Le lendemain, les deux vaisseaux se rencontrent sur orbite. Le système automatique Igla permet de rapprocher suffisamment les deux engins, puis VOLINOV et CHATALOV prennent les commandes manuelles de leur Soyouz respectif, et ils réalisent le premier amarrage de l'Histoire entre deux vaisseaux habités.

Fig. 2.2 : Soyouz-4 vu de Soyouz-5.
Crédit : Первая орбитальная.

A bord de Soyouz-5, KHROUNOV et ELISSEÏEV commencent alors à se préparer à sortir dans l'Espace. Ils utilisent le module orbital comme un sas puis, engoncés dans leurs scaphandres Yastreb, ils rejoignent Soyouz-4. Près de quatre ans après LEONOV, les Soviétiques réussissent une deuxième sortie dans l'Espace. Le succès de ce transfert ouvre la voie aux missions lunaires.

Fig. 2.3 : La sortie dans l'Espace de KHROUNOV et ELISSEÏEV.
Crédit : Первая орбитальная.

Soyouz-4, maintenant habité par trois cosmonautes, revient sur Terre sans incident le 17 janvier 1969. VOLINOV, qui est le dernier occupant de Soyouz-5, entame sa rentrée dans l'atmosphère le lendemain mais le Compartiment des Machines et des Instruments (PAO) ne se sépare pas correctement du Compartiment de Descente (SA), qui ne peut donc pas se positionner avec le bouclier thermique en avant.

VOLINOV, pensant qu'il va bientôt mourir, arrache les pages importantes de son journal de bord pour les mettre en sécurité, afin qu'elles puissent être récupérées après le crash. Le cosmonaute prend un magnétophone et décrit calmement ce qu'il est en train de vivre, toujours dans le souci d'aider les ingénieurs qui devront améliorer le prochain vaisseau. Dans le PAO, un réservoir d'ergols est disloqué et enfonce au passage l'écoutille de la cabine.

Mais finalement, les attaches qui liaient les deux compartiments finissent par se consumer et le SA peut s'orienter correctement. Mais VOLINOV n'est pas soulagé pour autant car le parachute ne s'ouvre pas correctement. Le contact avec le sol est si rude que le cosmonaute perd toutes les dents de sa mâchoire supérieure. Mais il est en vie, et c'est le principal.

Fig. 2.4 : Les quatre cosmonautes de Soyouz-4 et Soyouz-5 à leur arrivée à Moscou.
Crédit : Первая орбитальная.

Cette mission « 1+3 » aura donc été un succès retentissant pour l'Union soviétique. Elle a permis de rattraper beaucoup de retard en une seule fois. Rendez-vous, amarrage et sortie dans l'Espace ont été menés à bien exactement comme le plan de vol le prévoyait.

3. La mission « Troïka »

Au TsKBEM, on commence à planifier les missions suivantes. Le 7K-OK n°14 sera utilisé pour un vol en solitaire d'une semaine en avril-mai 1969, et les deux suivants seront lancés ensemble en août ou septembre 1969 pour s'amarrer en orbite.

De leur côté, les Forces aériennes (VVS) se montrent de plus en plus intéressées par l'achat d'une dizaine de 7K-OK. Cela leur permettrait de conduire leurs propres expériences. Le 28 mars 1969, le Maréchal ZAKHAROV, Chef d'Etat-major de l'Armée Rouge, annonce qu'il est hors de question de se lancer dans un tel programme.

La Commission d'Etat pour le programme Soyouz se réunit le 25 avril 1969 pour statuer sur le calendrier des prochains vols. La prochaine mission aura lieu en août 1969 et fera intervenir non pas deux mais trois vaisseaux. Les 7K-OK n°15 et n°16 s'amarreront pendant que le n°14 les filmera.

Ensuite, les vaisseaux n°17 et n°18 s'envoleront en novembre 1969 et procèderont à un amarrage au cours d'une mission de deux semaines. Ce plan de vol sera réitéré en février-mars 1970 par les vaisseaux n°19 et n°20.

En juillet 1969, tous ces projets sont soudainement mis en perspective avec l'exploit historique que viennent de réaliser les Américains : l'astronaute Neil ARMSTRONG vient de poser le pied sur la Lune. L'Union soviétique est définitivement battue dans la course qu'elle avait elle-même lancée douze ans plus tôt en plaçant le premier satellite artificiel sur orbite.

Fig. 3.1 : Neil ARMSTRONG sur la Lune.
Crédit : NASA.

La question se pose alors : faut-il effectuer la mission à trois vaisseaux - surnommée Troïka - si tôt après la prouesse américaine ? Cela mettrait en lumière le retard soviétique dans le domaine spatial et amènerait inévitablement des questions gênantes sur la direction des ambitions de l'URSS.

Le 18 septembre 1969, SMIRNOV recommande à la Commission Militaro-industrielle d'effectuer la mission dès le mois d'octobre. Les trois vaisseaux 7K-OK sont livrés à Baïkonour et leur préparation commence, mais de nombreux défauts sont détectés. Personne n'a envie de prendre la responsabilité d'autoriser le lancement, et la décision est confiée directement au Politburo, le Bureau politique du Comité central du Parti communiste.

Celui-ci se réunit le 30 septembre et finit par approuver la mission. Le 7K-OK n°14 décolle de Baïkonour le 11 octobre 1969. Baptisé Soyouz-6, il est piloté par les cosmonautes CHONINE et KOUBASSOV. Soyouz-7 est lancé dès le lendemain avec FILIPTCHENKO, VOLKOV et GORBATKO. Soyouz-8 est à son tour mis sur orbite le 13 octobre 1969 avec CHATALOV et ELISSEÏEV, deux des cosmonautes de la mission précédente.

Fig. 3.2 : Décollage de Soyouz-7, le 12 octobre 1969.
Crédit : Октябрь космический.

Plusieurs corrections d'orbite sont réalisées, et le 14 octobre tout est prêt pour procéder à l'amarrage. Les trois vaisseaux se rencontrent, et Soyouz-7 commence à s'approcher de Soyouz-8, pendant que Soyouz-6 se positionne pour observer la manœuvre.

Mais le système radar Igla ne fonctionne pas correctement, et les vaisseaux ne parviennent pas à s'approcher suffisamment l'un de l'autre pour pouvoir enclencher le contrôle manuel. Pendant deux jours, plusieurs tentatives sont réalisées, mais aucune ne réussit. Soyouz-6 finit par revenir sur Terre, et les deux autres vaisseaux essayent une dernière fois d'accomplir leur mission, mais c'est un nouvel échec. Ils atterrissent au Kazakhstan les 17 et 18 octobre 1969.

Fig. 3.3 : CHONINE et KOUBASSOV après l'atterrissage de Soyouz-6.
Crédit : DR.

La mission « Troïka » aura démontré que le vaisseau Soyouz est désormais fiabilisé, mais il apparaît que son système d'approche automatique (Igla) est son point faible. Quelques jours après le retour sur Terre des trois Soyouz, Leonid BREZHNEV prononce un discours qui restera l'un des éléments fondateurs du programme spatial soviétique. Pour faire oublier le cuisant échec du programme lunaire, le Premier secrétaire du Parti communiste annonce que l'objectif sera désormais de mettre en place des stations sur orbite terrestre et de mener à bien des vols de très longue durée.