Sokol | Histoire

1. La naissance de Soyouz et l'abandon des scaphandres de survie

Sur les premiers vaisseaux habités Vostok, les cosmonautes portaient des scaphandres SK-1 qui garantissaient leur sécurité en cas de dépressurisation accidentelle du Compartiment de Descente. C'est l'usine Zvezda, basée à Tomilino dans la banlieue de Moscou, qui fournissait les SK-1.

Au début des années 1960, le bureau d'études OKB-1 (aujourd'hui RKK Energuia) se lance dans le développement du nouveau vaisseau Soyouz (11F615). Dès novembre 1961, le cahier des charges pour le scaphandre qui équipera les équipages de Soyouz est envoyé à Zvezda.

Fig. 1 : Réplique d'un vaisseau Soyouz de première génération.
National Space Center, Leicester. Crédit : Nicolas PILLET.

Le développement du Soyouz est formellement décidé le 16 avril 1962, mais seulement cinq mois plus tard, en septembre 1962, Sergueï KOROLIOV, le Constructeur Général de l'OKB-1, juge que le risque de dépressurisation est suffisamment faible pour que les cosmonautes puissent se passer de scaphandres [1]. Zvezda stoppe donc ses travaux.

Cette décision ne fait pas l'unanimité, loin de là. Les dirigeants des Forces aériennes soviétiques, lors d'une réunion le 23 janvier 1963, insistent pour que le port du scaphandre soit maintenu [3]. Leur recommandation ne sera pas retenue.

2. L'accident de Soyouz-11 et le scaphandre Sokol-K

Soyouz entame ses premiers vols d'essais en 1966. Leur bilan est plutôt mitigé, mais à la fin des années 1960 le programme rencontre plusieurs succès. En juin 1971, toutefois, les trois cosmonautes de Soyouz-11 sont tués lors de leur retour sur Terre suite à la dépressurisation de leur Compartiment de Descente (SA).

Fig. 2 : PATSAÏEV, DOBROVOLSKI et VOLKOV, les malheureux cosmonautes de Soyouz-11.
Crédit : DR.

Une commission d'enquête est créée et remet ses conclusions le 17 août 1971. Elle recommande le développement d'un nouveau scaphandre pour équiper les futurs équipages de Soyouz. Vassili MICHINE, le nouveau Constructeur Général de l'OKB-1, rebaptisé entre temps TsKBEM, s'oppose fermement à cette recommandation [2] :

Dans les vaisseaux à plusieurs places, il est nécessaire d'assurer la sécurité collective, ce qui peut être réalisé plus efficacement par la redondance des systèmes de pressurisation du Compartiment de Descente.

Les scaphandres requièrent de nouveaux systèmes complexes, ce qui augmente la masse et le volume. La recommandation de la commission d'introduire des scaphandres impose de réduire la taille de l'équipage à seulement deux cosmonautes et de diminuer le volume d'expériences scientifiques.

Vassili MICHINE
Constructeur Général du TsKBEM
cité dans Дороги в космос, de Youri MOZZHORINE

Mais le colonel-général Dmitri OUSTINOV, Secrétaire du Comité central du Parti communiste d'Union soviétique, n'est pas de l'avis de MICHINE. Les deux hommes s'étaient rencontrés le 6 août 1971, et OUSTINOV avait clairement indiqué son souhait qu'aucun cosmonaute soviétique ne parte désormais dans l'Espace sans être équipé d'un scaphandre.

L'usine 918 de Tomilino est donc sollicitée pour développer un nouveau scaphandre, dans les délais les plus courts possibles, et en le rendant aussi compatible que possible avec les systèmes du vaisseau, pour limiter les modifications à apporter à celui-ci.

Il est impossible de se baser sur le SK-1 qu'avait utilisé Youri GAGARINE, car il n'est pas compatible avec les couchettes Kazbek du Soyouz, qui permettent d'amortir le choc de l'impact avec le sol lors du retour sur Terre. Il faut donc se baser sur les scaphandres portés par les pilotes militaires qui volent en haute altitude. Deux options sont envisagées :

- un scaphandre partiellement pressurisé, où seul le casque est ventilé,
- un scaphandre entièrement pressurisé.

Des recherches sont menées sur ces deux alternatives, respectivement avec les scaphandres d'aviation VKK-47 et Sokol.

Fig. 3 : Essais de compatibilité des scaphandres VKK-47 (à gauche)
et Sokol (à droite) avec la couchette Kazbek.
Crédit : Russian Spacesuits.

C'est le scaphandre Sokol qui montre les meilleurs résultats. Il avait été développé en 1972 pour les pilotes des avions de bombardement et de reconnaissance T-4 de Soukhoï, qui étaient capable de voler à plus de 11000 mètres d'altitude.

Fig. 4 : Le scaphandre Sokol pour le Soukhoï T-4
Musée de la NPP Zvezda. Crédit : Nicolas PILLET.

Le Sokol (Сокол signifie faucon) sera adapté pour le vaisseau Soyouz et deviendra le Sokol-K (K pour Космос, l'Espace). De nombreuses modifications doivent toutefois être apportées, notamment au niveau du casque, afin de réduire la masse au maximum.

Le développement du Sokol-K se fait dans l'urgence, car il conditionne le calendrier de retour en vol de Soyouz. L'usine Zvezda possède cinq tenues Sokol en réserve dans ses ateliers et, pour gagner du temps, décide de les transformer en Sokol-K. Elles sont prêtes dès la fin 1971 [1].

En temps normal, les cosmonautes respireront l'air du vaisseau fourni par son système de vie SOGS. En cas de dépressurisation, l'alimentation du scaphandre Sokol bascule automatiquement sur le système de secours.

Le scaphandre n'est pas autonome, c'est à dire qu'il ne comporte pas de réserve d'air respirable et qu'il dépend des réserves du vaisseau. Or, il a été décidé que la composition de l'air respiré en cas d'accident de dépressurisation devait être différente de l'air du vaisseau. Il faut donc embarquer un nouveau système de survie, indépendant de celui du vaisseau, et dédié uniquement aux situations accidentelles.

C'est le TsKBEM qui est responsable du développement de ce système [1]. Il doit être placé dans le Compartiment de Descente, pour pouvoir fournir de l'air dans toutes les phases du vol, et comme il est relativement volumineux il prend tout le siège de gauche. Le vaisseau Soyouz ne pourra donc transporter plus que deux cosmonautes. C'est le prix de la sécurité.

Fig. 5 : Les équipements liés au Sokol-K occupent la place de gauche du Soyouz.
Vaisseau Soyouz-34 (Musée National d'Histoire de la Cosmonautique de Kalouga). Crédit : Nicolas PILLET.

A l'automne 1971, l'usine Zvezda a terminé ses essais intrinsèques du Sokol-K, et une campagne d'évaluation doit maintenant être réalisée pour vérifier que le scaphandre rempli bien son cahier des charges.

Fig. 6 : Le scaphandre Sokol-K.
Musée Polytechnique de Moscou. Crédit : Nicolas PILLET.

Les essais auront lieu à l'Institut de Recherche des Forces aériennes (GK NII), sur l'aéroport Tchkalov près de Moscou. Cette campagne permet de valider la possibilité de rester pendant vingt-quatre heures en tenue Sokol-K dans le Compartiment de Descente, et aussi d'écrire une procédure d'habillage en apesanteur sans assistance. Pour cela, un avion parabolique est utilisé [1].

A l'issue, l'usine Zvezda réalise de son côté des essais de flottaison dans sa piscine, car le Sokol-K doit également assurer la survie du cosmonaute en cas d'amerrissage d'urgence. Des essais en Mer Noire permettent de déterminer la durée pendant laquelle le scaphandre peut maintenir son porteur dans des conditions acceptables [1]. La totalité des essais sont terminés en 1972.

Le TsKBEM réalise deux essais en vol de la version modifiée du vaisseau Soyouz en juin 1972 (Cosmos 496) et en juin 1973 (Cosmos 573). On ne sait pas si des scaphandres Sokol-K étaient embarqués.

Le Sokol-K est utilisé de manière opérationnelle pour la première fois lors du vol Soyouz-12, réalisé en septembre 1973 avec les cosmonautes Vassili LAZAREV et Oleg MAKAROV. A partir de là, tous les vols Soyouz jusqu'à Soyouz-40 utiliseront le Sokol-K. Au total, pas moins de 155 Sokol-K ont été produits (66 pour les essais, et 89 modèles bons de vol).

3. Le projet mort-né Sokol-KM

Mais avant même le vol de Soyouz-12, l'usine Zvezda constate un certain nombre d'inconvénients sur son scaphandre qui, on le rappelle, a dû être développé dans l'urgence. Par exemple, le fait que le Sokol-K soit en une seule pièce réduit les possibilités de l'adapter à la morphologie de chaque cosmonaute.

Fig. 7 : Le scaphandre Sokol-KM.
Crédit : Russian Spacesuits.

Le 13 mars 1973, une réunion des dirigeants de Zvezda propose la réalisation d'un nouveau prototype, le Sokol-KM, pour tenter de corriger ces défauts.

La principale modification est la séparation du scaphandre en deux parties indépendantes (pantalon et haut), ce qui permet un meilleur ajustement à la morphologie du cosmonaute. Plusieurs exemplaires sont produits, mais le projet ne va pas plus loin.

4. Une nouvelle version pour Soyouz T : le Sokol-KV

Une nouvelle version est étudiée à partir de 1974. Baptisée Sokol-KV, elle permet notamment de gagner du temps lors de l'habillage et d'augmenter le champ de vision à travers la visière du casque. Trois exemplaires sont réalisés en 1974, et trois autres en 1975. Cette variante sera utilisée pour le vaisseau de nouvelle génération Soyouz T (11F732) que développe le TsKBEM.

Fig. 8 : Un scaphandre Sokol-KV.
Crédit : Nicolas PILLET.

La différence majeure réside dans la composition de l'air respiré par les cosmonautes dans le scaphandre. Il sera maintenant à 100% d'oxygène, ce qui permettra de le brancher directement sur le système du vaisseau.

Il n'y aura plus besoin d'embarquer un système d'alimentation spécifique, ce qui libèrera le siège de gauche et permettra de revenir à un équipage de trois cosmonautes. De plus, le scaphandre Sokol-KV sera équipé d'un système de refroidissement qui assurera davantage de confort aux cosmonautes.

Le 3 décembre 1975, l'usine Zvezda approuve le projet, qui est formellement accepté début 1976 par les hautes instances du spatial soviétique. Mais au cours du développement, un changement de direction est pris : Zvezda décide que le système de refroidissement n'est pas nécessaire, compte-tenu du fait que dans le pire des cas, le cosmonaute ne restera pas dans son scaphandre plus de quelques heures.

D'autre part, en 1979, les essais montrent que la fermeture éclair qui relie le bas et le haut du scaphandre n'est pas suffisamment fiable, et il est décidé de revenir à un scaphandre en une seule pièce.

5. La version Sokol-KV-2 retenue pour Soyouz T

A la lumière de toutes ces remarques, le Sokol-KV subit d'importantes modifications et devient le Sokol-KV-2. Il est ainsi débarrassé du système de refroidissement, et il ne comporte qu'une seule pièce qui s'ouvre par le devant.

Des essais sont réalisés en 1979, et le nouveau scaphandre vole pour la première fois en juin 1980 sur le vaisseau Soyouz T-2, avec les cosmonautes Youri MALYCHEV et Vladimir AKSIONOV.

Fig. 9 : Le couturier John GALLIANO lors d'un défilé de mode à Paris,
avec un scaphandre Sokol-KV-2.
5 juillet 2006. Crédit : Dior.

Les Sokol-KV-2 donnent entière satisfaction, et il sont réutilisés pour les vaisseaux Soyouz TM (11F732A51), Soyouz TMA (11F732A17), Soyouz TMA-M (11F732A47) et Soyouz MS (11F732A48). Ils sont toujours en service de nos jours, et il n'est pas prévu de les faire évoluer.

Fig. 10 : Préparation du scaphandre Sokol-KV-2 chez Zvezda.
Crédit : Itar-Tass.

Bibliographie

[1] ABRAMOV, I., SKOOG, I. : Russian Spacesuits, Springer&Praxis, Chichester, 2003
[2] SIDDIQI, A., The Soviet Space Race with Apollo, University Press of Florida
[3] WADE, M., Encyclopedia Astronautica


Dernière mise à jour : 26 janvier 2017