Federatsia | Histoire

Le projet de vaisseau PTK NP, ou Federatsia, est né en 2009. Après plusieurs phases de conception, et un certain nombres de revirements politiques, il en est aujourd'hui au stade de la construction en vue d'un premier vol en 2022.

1. L'origine du projet PPTS

A la fin des années 2000, Roscosmos exploite le Segment russe de la Station Spatiale Internationale (MKS) à l'aide des vaisseaux Soyouz TMA fournis par l'industriel RKK Energuia. La conception de ces vaisseaux remonte au début des années 1960, mais ils ont été très largement modernisés depuis. Toutefois, ils ne permettent pas d'entreprendre des missions d'exploration au-delà de l'orbite basse et ne peuvent transporter des charges que de quelques dizaines de kilogrammes.

En 1999, RKK Energuia démarre le développement d'un vaisseau spatial de nouvelle génération appelé Kliper. Partiellement réutilisable et doté d'ailes, il sera capable d'atterrir sur une piste conventionnelle à l'instar de la navette spatiale américaine ou de la navette Bourane.

Fig. 1.1 : Modèle d'essai du vaisseau Kliper.
MAKS-2005. Crédit : Nicolas PILLET.

Le développement de Kliper s'avère toutefois particulièrement coûteux et, en 2007, RKK Energuia commence à étudier d'autres pistes. Des discussions commencent avec les deux principaux industriels du secteur spatial européen, Thales Alenia Space et EADS Astrium, dans le but de créer un projet conjoint de vaisseau qui permettrait à la fois des vols vers l'orbite basse et vers la Lune [1].

Ce vaisseau, baptisé ACTS (Advanced Crew Transport System) en Europe et PPTS (Перспективная Пилотируемая Транспортная Система) en Russie, consisterait en un Module de Retour (VA) conique réutilisable fourni par la Russie, et en un Module de Service (SM) fourni par l'Europe.

Fig. 1.2 : Schéma du projet russo-européen PPTS.
Crédit : RKK Energuia.

Lors de son Conseil ministériel de novembre 2008, l'ESA ne donne qu'un très faible financement à ce projet, qu'elle décidera finalement d'abandonner en 2009.

2. Le premier appel d'offres

2.1. Les spécifications de Roscosmos

Suite au retrait de l'ESA, Roscosmos décide de poursuivre le projet seule. L'agence fédérale publie un appel d'offres le 27 février 2009, dont les spécifications pour la version de base demandent une capacité de transport de six cosmonautes et d'un chargement de 500kg vers une station sur orbite basse [2]. Le vaisseau doit être évolutif pour pouvoir permettre, dans l'avenir :

- de transporter quatre cosmonautes et un chargement de 100kg vers l'orbite lunaire,
- de réaliser des vols sur orbite basse de trente jours avec quatre cosmonautes,
- de permettre des vols touristiques,
- de transporter, en configuration automatique, 2000kg de fret vers une station sur orbite basse, et de ramener 500kg sur Terre [2].

L'autonomie doit être de cinq jours pour la version de base et la version automatique, et de quatorze jours pour la version lunaire. Le vaisseau doit également pouvoir fonctionner pendant 365 jours amarré à une station sur orbite terrestre, et pendant 200 jours sur une station sur orbite lunaire. La masse ne doit pas excéder vingt tonnes pour pouvoir être placé sur orbite basse par le futur lanceur Rus-M (inclinaison de 51,8°). Le Module de Retour doit être réutilisable jusqu'à dix fois sur une durée de quinze ans. Enfin, l'atterrissage doit pouvoir se faire avec une précision de 10km.

Les deux grands industriels du secteur spatial russe, RKK Energuia et GKNPTs Khrounitchev, répondent à l'appel d'offres [2]. Roscosmos attribuera 800 millions de roubles au projet jugé le plus prometteur afin de financer la définition d'un avant-projet qui devra être terminé pour 2010, en vue d'un premier vol d'essai en 2015 [3].

2.2. Le projet de Khrounitchev

Le GKNPTs Khrounitchev propose un vaisseau dérivé du TKS, qui avait volé à plusieurs reprises dans les années 1980 avant d'être finalement abandonné. Il est constitué d'un Module de Retour (VA) conique et réutilisable dix fois, avec un demi-angle au sommet de 27°, ainsi que d'un Module Orbital Additionnel (DOM) cylindrique placé à l'arrière [2].

Fig. 2.2.1 : La proposition de Khrounitchev pour le PPTS.
Crédit : Novosti Kosmonavtiki.

L'atterrissage se fait grâce à des parachutes placés à l'extrémité du cône du VA. Les moteurs, de type KRD-79 (S5.79), sont disposés autour de la base du VA. L'accès au DOM se fait via une écoutille qui traverse le bouclier thermique [2].

Le DOM a une longueur de 3,5m et se termine par une partie conique (demi-angle au sommet : 45°) qui donne sur le pièce d'amarrage, d'un diamètre de 800mm. Il dispose de petits moteurs RDMT-400 (11D458) pour l'orientation du vaisseau [2].

La version lunaire possède une protection thermique améliorée, une protection plus performante contre les radiations, et davantage de réserves pour le système de survie. Au lieu de ses deux moteurs KRT-79 à UDMH/N2O4, elle possède un seul moteur KVD-1M2 à hydrogène et oxygène liquides, placé à l'arrière. Le DOM est raccourci et la pièce d'amarrage est disposée sur le flanc [2].

Fig. 2.2.2 : La version lunaire du projet de Khrounitchev.
Crédit : Novosti Kosmonavtiki.

Pour lancer son vaisseau en version lunaire, Khrounitchev propose un plan de vol avec deux lancements. Un premier avec un lanceur Rus-M pour mettre le vaisseau et son équipage sur orbite basse, et un second avec un lanceur Angara en version Angara-7V pour mettre sur orbite un étage d'injection. Après amarrage entre les deux engins, le voyage vers la Lune peut commencer [2].

2.3. Le projet de RKK Energuia

De son côté, la RKK Energuia propose un projet similaire aux études réalisées avec les industriels européens, mais entièrement russisé. Le vaisseau reste constitué d'un Module de Retour (VA) conique et réutilisable, ainsi que d'un Compartiment des Moteurs (DO).

Fig. 2.3.1 : Le projet de PPTS de RKK Energuia.
Crédit : RKK Energuia.

Une attention particulière est donnée au système d'atterrissage. En effet, dans un souci d'indépendance, Roscosmos souhaite que le retour puisse être réalisé sur le territoire russe. Selon RKK Energuia, cela ne sera pas possible en utilisant des parachutes comme sur le Soyouz TMA car, avec un tel système, la zone d'atterrissage théorique s'inscrit dans un rayon de 30km, et aucun terrain de cette superficie n'existe en Russie [1].

Il faudra donc doter le futur vaisseau d'une capacité d'atterrissage vertical, afin de réduire la zone de retour à un rayon de 2km. Un système de rétrofusées à ergols liquides avait été étudié par RKK Energuia dans les années 1980 dans le cadre du projet Zaria, mais il s'avère que des moteurs à ergols solides offriraient une meilleure fiabilité [1].

Fig. 2.3.2 : Le concept d'atterrissage vertical du PPTS de RKK Energuia.
Crédit : RKK Energuia.

Par ailleurs, il s'avère qu'aucun industriel russe n'est capable de fournir dans le temps imparti les matériaux nécessaires à un bouclier thermique réutilisable. RKK Energuia décide donc d'utiliser au moins dans un premier temps un bouclier thermique à usage unique, qui devra être changé après chaque vol [1].

Le PPTS sera mis sur orbite par le lanceur Rus-M actuellement en développement chez TsSKB-Progress à Samara. L'expédition lunaire nécessitera un lancement double : le premier pour le PPTS, et le second pour le module d'alunissage, avec un rendez-vous réalisé sur orbite lunaire. Tous les vols seront effectués depuis le futur cosmodrome de Vostotchnyi, dans l'Extrême-Orient russe [1].

2.4. Le résultat

L'appel d'offres est clos le 30 mars 2009, et Roscosmos annonce officiellement le 6 avril 2009 que c'est la proposition de RKK Energuia qui a été retenue comme maître d'œuvre du projet « PPTS 1ère étape » [1][2].

D'un point de vue historique, cette décision s'inscrit dans la continuité de tout le programme de vols habités soviétiques puis russes. C'est en effet la RKK Energuia qui a développé tous les vaisseaux spatiaux russes, du Vostok au Soyouz, en passant par le Voskhod, le 7K-L1 ou le L3. Khrounitchev a toujours fini par perdre ses contrats dans ce domaine, d'abord avec le LK-1 des années 1960, puis avec le TKS.

3. Préparation de l'avant-projet

Chez RKK Energuia, on s'organise en vue de ce nouveau grand projet, et l'ordre n°222 du président, daté du 8 juin 2009, définit les responsabilités. Le président, Vitali LOPOTA, sera le directeur du projet, le constructeur principal sera Nikolaï BRIOUKHANOV, et l'exécuteur sera Valeri RIOUMINE [1].

Fig. 3.1 : Nikolaï Albertovitch BRIOUKHANOV.
Crédit : RKK Energuia.

Les études approfondies commencent alors. Trois-cents-soixante-cinq essais sont réalisés en soufflerie du TsAGI avec une maquette du VA et de sa tour d'éjection, afin de valider le profil aérodynamique. De nouvelles méthodes de fabrication sont testées à l'usine ZEM de RKK Energuia pour maîtriser les nouveaux alliages qui seront utilisés (01570s et V-1469), en coopération avec le VIAM. La conception de la protection thermique est initiée avec l'entreprise Kompozit [1].

Le vaisseau de RKK Energuia pour le projet PPTS 1ère étape est baptisé Vaisseau de Transport Habité de Nouvelle Génération, ou PTK NP (Пилотируемый Транспортный Корабль Нового Поколения).

Fig. 3.2 : Maquette du VA et de la tour d'éjection pour les essais aérodynamiques.
Crédit : RKK Energuia.

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Vidéo 3.1 : Reportage sur le PTK NP diffusé à la télévision russe en avril 2010.
Crédit : Россия 24.

Une maquette du PTK NP est présentée au public pour la première fois lors du Salon International de l'Aéronautique et de l'Espace de Moscou (MAKS) du 18 au 23 août 2009.

Fig. 3.3 : La maquette du PTK NP au salon MAKS-2009.
Crédit : DR.

L'avant-projet est terminé en avril 2010, et il est validé par le Conseil Technico-Scientifique de l'entreprise le 27 mai 2010. L'Académicien Viktor LEGOSTAÏEV, qui dirige le Conseil, autorise le projet à être transféré au TsNIIMach, l'organe technique de Roscosmos, pour expertise [1].

Vitali LOPOTA présente officiellement l'avant-projet à Roscosmos le 3 août 2010, et l'agence donne sa validation le 18 août 2010. Elle note toutefois que, même si le PTK NP satisfait les critères de l'appel d'offres, son exploitation en tant que moyen de transport vers une station orbitale serait 10 à 15% plus chère que celle des vaisseaux Soyouz TMA [1].

4. La Lune temporisée

Suite à ces analyses, Roscosmos publie le 27 octobre 2010 un nouvel appel d'offres visant cette fois à développer un projet technique, faisant suite à l'avant-projet de RKK Energuia. Le document demande de fournir une proposition avant décembre 2012, et attribue un financement de 2 milliards de roubles issu du Programme Spatial Fédéral pour la période 2006-2015 (FKP-2015).

L'appel d'offres, il faut le souligner, ne porte que sur la « 1ère étape » du projet PPTS, qui se limite à un vaisseau capable de voler sur orbite basse, soit pour des vols autonomes de trente jours, soit pour desservir une station orbitale (en versions habitées et automatiques). Les vols lunaires, à ce stade, ne sont plus évoqués.

Le document demande que le vaisseau, en plus de son Module de Retour (VA) et de son Compartiment des Moteurs (DO), soit doté d'un Compartiment Etanche Additionnel (DGO) afin d'apporter à l'équipage un espace supplémentaire. Cet appendice doit permettre de stocker 1000kg de matériel scientifique et fournir 2kW de puissance électrique. L'équipage, dans cette configuration, doit être de deux cosmonautes pour des vols de trente jours, ou de quatre cosmonautes pour des vols de quatorze jours. Le vaisseau doit pouvoir être mis sur orbite par un lanceur Rus-M depuis le cosmodrome de Vostotchnyi.

Pour répondre à cette nouvelle demande de Roscosmos, RKK Energuia décline son PTK NP en deux versions : le PTK-S pour desservir les stations orbitales, et le PTK-Z pour les vols autonomes. Le premier est identique au projet proposé lors de l'appel d'offres de 2009, toujours avec six membres d'équipage, et le second incorpore le nouveau compartiment DGO, placé sous le vaisseau pendant le lancement, et amarré à l'extrémité du VA après la mise sur orbite.

Fig. 4.1 : Le projet PTK-Z de RKK Energuia.
Crédit : RKK Energuia.

Fig. 4.2 : Le projet PTK-Z de RKK Energuia.
Crédit : RKK Energuia.

Fig. 4.3 : Le projet PTK-Z de RKK Energuia.
Crédit : RKK Energuia.

Fig. 4.4 : Le projet PTK-S de RKK Energuia.
Crédit : RKK Energuia.

Le projet de PTK NP, avec ses deux versions PTK-Z et PTK-S, est validé par Roscosmos le 20 décembre 2010, date à laquelle l'agence fédérale signe le contrat (n°351-9990/10) de 2 milliards de roubles avec RKK Energuia. L'ordre n°85 du Président de RKK Energuia, daté du 4 mars 2011, lance officiellement la prochaine étape du développement [4].

Une nouvelle maquette du PTK NP, en version PTK-S, est présentée lors du Salon International de l'Air et de l'Espace du Bourget, en Région parisienne, du 20 au 26 juin 2011.

Fig. 4.5 : Le projet PTK-S de RKK Energuia.
Salon du Bourget 2011. Crédit : Nicolas PILLET.

5. Le PTK NP retourne vers la Lune, mais change de lanceur

Le 29 avril 2011, Anatoli PERMINOV est remplacé à la tête de Roscosmos par Aleksandr POPOVKINE. Dès le 22 juillet 2011, le Conseil Technico-Scientifique de l'agence décide de faire de nouveau du PTK NP un vaisseau lunaire [4].

Une maquette à l'échelle 1:1 est présentée lors du Salon International de l'Aviation et de l'Espace de Moscou (MAKS) du 16 au 21 août 2011.

Fig. 5.1 : Aleksandr POPOVKINE fait visiter la maquette du PTK NP
à Vladimir POUTINE, alors Premier Ministre.
Crédit : DR.

Le 14 novembre 2011, le nouveau patron du programme spatial russe décide d'annuler le projet de lanceur Rus-M. Le PTK NP sera donc mis sur orbite par le lanceur Angara-A5 du GKNPTs Khrounitchev [4], qui n'a pas encore effectué son premier vol. Cette décision n'est pas une surprise puisque, trois mois plus tôt, Khrounitchev avait exposé au MAKS-2011 une maquette d'Angara-A5 surmontée du PTK NP.

Fig. 5.2 : La maquette d'Angara-A5 avec le PTK NP présentée au MAKS-2011.
Crédit : A. KARPIENKO.

De son côté, RKK Energuia profite du vide laissé par l'abandon de Rus-M pour tenter de faire valider son projet de lanceur Energuia-KV, dérivé du Zenit-2 russo-ukrainien. Ce projet restera cependant sans suite.

Fig. 5.3 : Maquette d'Energuia-KV surmontée du PTK NP.
Salon du Bourget 2011. Crédit : Nicolas PILLET.

Le 16 février 2012, Roscosmos publie un protocole (n°VP-176-pr) qui officialise la nouvelle orientation lunaire du PTK NP. Un amendement au projet PPTS est publié le 16 avril 2012, et demande à RKK Energuia de concevoir le vaisseau PTK NP pour qu'il puisse réaliser des vols sur orbite lunaire, tout en restant capable de desservir des stations sur orbite basse. Il se présentera dorénavant comme un engin unique, et le concept des deux versions PTK-S et PTK-Z est abandonné [4].

Les nouvelles spécifications demandent que le PTK NP soit capable d'emporter un équipage de quatre cosmonautes, ainsi qu'un chargement de 100kg, sur orbite lunaire, ainsi que d'accomplir des vols en autonomie d'une durée de trente jours. Une fois sur orbite lunaire, le vaisseau devra pouvoir s'amarrer soit à une station orbitale, soit à un module d'atterrissage pour explorer la surface [4][5]. Le lancement se fera à l'aide d'un lanceur super-lourd qui sera défini dans le cadre du projet Amour [4].

Fig. 5.4 : Vue d'artiste du PTK NP dans sa nouvelle version, à la fois terrestre et lunaire.
Crédit : RKK Energuia.

Quand il volera vers une station sur orbite terrestre, le PTK NP devra pouvoir transporter quatre cosmonautes et 500kg de chargement. Il devra être capable de ramener sur Terre deux cosmonautes de plus [4].

Ces changements induisent des modifications profondes de la conception du vaisseau, notamment en ce qui concerne son bouclier thermique et ses systèmes de télécommunications. La motorisation et le système de survie sont par ailleurs complètement repensés [4].

RKK Energuia termine le projet technique au début 2013, et le Conseil Technico-Scientifique de l'entreprise le valide officiellement le 1er février 2013. Les 1073 tomes du projet sont ensuite transférés au TsNIIMach pour expertise. Après analyse, Roscosmos rend ses conclusions le 23 juillet 2013. Les experts du TsNIIMach ont trouvé quelques erreurs dans le projet, et donnent une semaine à RKK Energuia pour apporter ses correctifs [4].

L'industriel avait commandé dès le 17 mai 2013, via l'ordre n°185 du Président de l'entreprise, la construction du premier modèle d'essai PKM (Проектно-Компоновочный Макет). Contrairement à la maquette exposée au MAKS-2011, le PKM ne sera pas qu'une représentation artistique, mais sera constitué de maquettes de l'ensemble des systèmes du Module de Retour [4]. Il est fabriqué par la ZEM, l'usine de RKK Energuia, pour la somme de 3.121.572 roubles [6], et il est exposé lors du salon MAKS-2013, du 27 août au 1er septembre 2013.

Fig. 5.5 : Le modèle d'essai PKM du PTK NP.
MAKS-2013. Crédit : Nicolas PILLET.

Un mois plus tard, le 10 octobre 2013, Aleksandr POPOVKINE est remplacé à la tête de Roscosmos par Oleg OSTAPIENKO.

RKK Energuia fournit une version corrigée du projet technique du PTK NP au TsNIIMach en novembre 2013 et, le 5 décembre 2013, Roscosmos donne sa validation et autorise l'industriel à passer à l'étape suivante, à savoir la rédaction de la documentation technique en vue de la construction. Un nouveau contrat (n°351-9990/13/427) est signé dans ce sens le 19 décembre 2013, et donne un délai de deux ans à RKK Energuia [4].

6. Le projet se précise

Les équipes de RKK Energuia commencent donc dès le début de l'année 2014 à rédiger la documentation. Cette étape permet de remettre en cause un certain nombre de choix qui avaient été faits lors de l'élaboration du projet technique [4].

Les décisions les plus importantes concernent le matériau avec lequel sera construit le Module de Retour (VA). En 2014, RKK Energuia fait le choix d'utiliser des matériaux composites, ce qui permet de réduire la masse de façon significative. Le PTK NP sera donc le premier vaisseau spatial de l'Histoire à ne pas être construit dans un alliage d'aluminium [4].

Fig. 6.1 : Prototype du Module de Retour en matériaux composites.
MAKS-2015. Crédit : Nicolas PILLET.

Les réservoirs d'ergols devaient être toriques, mais il s'avère que cette configuration entraîne trop de complications de production, et qu'elle n'est pas optimale d'un point de vue de la consommation d'ergols. Au printemps 2015, les ingénieurs de RKK Energuia et de KB KhimMach, responsable du système de propulsion, décident de revenir à des réservoirs sphériques, semblables à ceux du vaisseau Soyouz [4].

Le conflit qui éclate dans l'est de l'Ukraine début 2014, et les mesures de guerre économique (qualifiées de « sanctions ») prises par les pays de l'OTAN envers la Russie ne facilitent pas le développement du PTK NP. Certains composants électroniques nécessaires aux systèmes du vaisseau étaient achetés à l'étranger, et la conception est revue pour n'intégrer que des composants russes [4].

Le 21 janvier 2015, Oleg OSTAPIENKO est remplacé à la tête de Roscosmos par Igor KOMAROV.

Quelques semaines plus tôt, le 23 décembre 2014, le lanceur Angara-A5 réussissait son vol inaugural depuis le cosmodrome de Plesetsk. Suite à ce succès, Roscosmos publie le 30 avril 2015 une décision (n°IK-125-r) qui définit le plan de vol vers la Lune [4].

Fig. 6.2 : Le vol inaugural d'Angara-A5, le 23 décembre 2014.
Crédit : DR.

Tous les lancements auront lieu depuis le nouveau cosmodrome de Vostotchnyi. Angara-A5 lancera un PTK NP inhabité en 2021, et un premier exemplaire habité en 2023. Ensuite, en 2025, un lanceur Angara-A5V doté d'un étage à hydrogène liquide enverra le PTK NP vers la Lune [4].

L'expédition lunaire nécessitera quatre lancements d'Angara-A5V. Deux pour envoyer le PTK NP (avec deux étages de propulsion) vers la Lune, et deux de plus pour le module d'atterrissage LVPK.

Fig. 6.3 : Vue d'artiste du PTK NP avec ses deux étages de propulsion.
Crédit : RKK Energuia.

L'avantage de cette stratégie est son réalisme, notamment d'un point de vue financier, car elle écarte le besoin de développer un lanceur super-lourd comme la N-1 ou Energuia.

En revanche, elle implique la construction d'infrastructures très lourdes (et coûteuses) afin de permettre la réalisation des quatre lancements dans un délai court. Le cosmodrome de Vostotchnyi devra notamment être doté de deux pas de tir au lieu d'un seul. Par ailleurs, même avec l'étage à hydrogène liquide d'Angara-A5V, la masse du PTK NP devra être ramenée de 20 tonnes à seulement 17 tonnes [4].

Fig. 6.4 : Angara-A5P pour les vols sur orbite basse,
et Angara-A5V pour les voyages lunaires.
MAKS-2015. Crédit : Nicolas PILLET.

En décembre 2015, toutefois, un plan d'actions est mis sur pied afin d'augmenter les performances du lanceur, ce qui devrait permettre d'augmenter la masse du vaisseau à 19 tonnes [4].

7. Un nom pour le PTK NP

En août 2015, RKK Energuia annonce l'ouverture d'un concours pour déterminer le nom du PTK NP. Les candidatures sont ouvertes du 30 août au 2 novembre 2015, et pas moins de 35105 personnes y participent. Un jury présidé par Igor KOMAROV retient dix finalistes : Gagarine, Vektor, Federatsia, Astra, Galaktika, Rodina, Zodiak, Mir, Zvezda et Lider.

C'est finalement le nom de Federatsia qui est retenu, et annoncé le 15 janvier 2016. Il fait référence à la Fédération de Russie, et à la continuité avec le vaisseau Soyouz qui rendait hommage à l'Union soviétique. Le gagnant du concours est un homme de Kemerovo, Andreï SMOKOTINE. Il gagne un voyage à Baïkonour pour assister au lancement de Soyouz TMA-20M, le 18 mars 2016.

Fig. 7.1 : Andreï SMOKOTINE avant le lancement de Soyouz TMA-20M.
Crédit : A. SMOKOTINE.

8. La Lune de nouveau abandonnée

L'année 2016 est une étape cruciale pour la Cosmonautique russe, car elle voit le vote du nouveau Programme Spatial Fédéral pour la période 2016-2025 (FKP-2025). Le budget demandé à l'origine par Roscosmos était de 2117 milliards de roubles, mais le Ministère des Finances n'attribue que 1406 milliards de roubles.

Deux orientations sont alors envisagées pour respecter ce budget restreint. La première consiste à concentrer les efforts sur les satellites d'application et à annuler purement et simplement le programme Federatsia. La seconde consiste à faire un compromis, c'est-à-dire à financer les satellites d'application à leur minimum vital, afin de conserver un budget pour Federatsia. C'est cette seconde option qui est retenue en avril 2015.

Fig. 8.1 : Igor KOMAROV, nouveau directeur de Roscosmos,
doit gérer la baisse drastique du budget alloué à Federatsia.
Crédit : Nicolas PILLET.

Le programme est donc sauvé, mais il est fortement réduit. Le module d'atterrissage LVPK est abandonné, et le premier vol sur orbite lunaire avec Angara-A5V est reporté à 2029, c'est-à-dire au-delà du programme fédéral. Federatsia perd ainsi une grande partie de sa raison d'être, car il sera limité à des vols vers la Station Spatiale Internationale, que les vaisseaux Soyouz réalisent déjà et pour moins cher.

Au cours de l'année 2016, RKK Energuia annonce que la structure en matériaux composites pour le Module de Retour est abandonnée, au profit d'un alliage d'aluminium [7].

Le 30 septembre 2016, Roscosmos attribue un contrat de 57 milliards de roubles à RKK Energuia pour le développement de Federatsia. Cette somme doit permettre de financer la première phase d'essais en vol LKI-1, qui sera constituée :

- du premier vol, qui sera inhabité et sur orbite terrestre en 2021,
- du deuxième vol, également inhabité mais vers la Station Spatiale Internationale, en 2023,
- du troisième vol, habité, qui se fera vers la Station Spatiale Internationale, également en 2023.

Année Financement (rouble)
2016 8.178.100.000
2017 7.492.100.000
2018 5.543.000.000
2019 7.441.000.000
2020 11.818.300.000
2021 6.964.900.000
2022 2.138.300.000
2023 2.615.000.000
2024 3.038.200.000
2025 2.327.828.370
Total 57.556.728.370
Tableau 8.1 : Plan de financement du programme Federatsia selon le contrat de septembre 2016.

9. Nouveau virage à 180°

Le 22 mai 2017, lors d'une réunion à Sotchi, le Président Vladimir POUTINE demande à Roscosmos de démarrer le développement d'un lanceur super-lourd, provisoirement appelé STK.

C'est RKK Energuia qui obtient la maîtrise d'œuvre du projet, qui sera basé sur le lanceur Soyouz-5 de RKTs-Progress, dérivé du lanceur Zenit et dont le premier vol est programmé depuis Baïkonour pour 2022. Federatsia est donc retardé d'une année, et change de cosmodrome [8].

Fig. 9.1 : Le Président Vladimir POUTINE, lors de son allocution du 22 mai 2017.
Crédit : Kremlin.

A ce stade, l'utilisation d'Angara pour lancer Federatsia n'est plus envisagée. Le vaisseau utilisera Soyouz-5 pour ses missions sur orbite terrestre, et le STK pour les missions lunaires.

10. Les premiers essais

En avril 2018, plusieurs maquettes de Federatsia sont fournies par la RKK Energuia au TsAGI afin de leur faire subir des essais en soufflerie. Une première série d'essais est réalisée en mai 2018 dans la soufflerie transsonique, et une seconde série en juin 2018 dans la soufflerie hypersonique T-117 à M=10,5.

Fig. 10.1 : La maquette de Federatsia dans la soufflerie transsonique.
Crédit : TsAGI.

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Vidéo 10.1 : Reportage sur les essais dans la soufflerie transsonique.
Crédit : TVRoscosmos.

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Vidéo 10.2 : Essai dans la soufflerie hypersonique, juin 2018.
Crédit : TsAGI.

Le 26 juillet 2018, le NII Parachioutostroïenia réalise le premier essai du système de parachutes de Federatsia. Une maquette de 3 tonnes est larguée depuis un avion de transport au polygone de Kirzhatch.

Bibliographie

[1] LOPOTA, V., Первое десятилетие XXI века, Moscou, 2011, pp. 171-190
[2] AFANASSIEV, I., Наследник ТКС, Novosti Kosmonavtiki n°06-2009
[3] AFANASSIEV, I., Конкурс на новый корабль, Novosti Kosmonavtiki n°05-2009
[4] SOLNTSEV, V., РКК "Энергия" им. С.П. Королева в втором десятилетии XXI века, Moscou, 2016, pp. 211-224
[5] Rapport annuel de la RKK Energuia pour l'année 2011, p. 68
[6] Rapport annuel de la RKK Energuia pour l'année 2013, p. 184
[7] Российская "Федерация" пока обойдется без композитов, dépêche TASS du 17.11.2016
[8] AFANASSIEV, I., Будущее - за "Федерацией", Novosti Kosmonavtiki n°07-2017


Dernière mise à jour : 30 juillet 2018