Les satellites OGTch

Au cours des années 1960, l'Union soviétique a développé un système capable de placer des armes thermonucléaires en orbite, capables de frapper le bloc occidental à n'importe quel moment et depuis n'importe quelle direction.

1. Historique

Tout commence en août 1961. Nous sommes alors moins de trois semaines après le deuxième vol spatial habité de l'Histoire, celui de Hermann TITOV, et les autorités soviétiques commencent à percevoir tout le potentiel militaire des fusées.

A ce moment, l'Union soviétique dispose dans son arsenal nucléaire de deux missiles balistiques intercontinentaux : le R-7 et le R-16, développés respectivement par les bureaux d'études OKB-1 et OKB-586.

Mais le Kremlin désire aller plus loin dans l'exploitation des capacités offertes par ces nouveaux vecteurs, et le 31 août 1961 il annonce qu'il souhaite voir le développement de système capables de placer des charges nucléaires en orbite, ce qui permettrait de frapper n'importe quel point du globe à n'importe quel instant.

A la conférence de Pitsounda (Géorgie) de février 1962, les trois principaux bureaux d'études du pays font chacun une proposition pour un ou plusieurs nouveaux missiles. L'OKB-1 propose son GR-1, l'OKB-52 son UR-200 et l'OKB-586 son R-36.

Le GR-1 sera rapidement abandonné, et seuls le R-36 et l'UR-200 restent en compétition. Chacun d'eux peut être décliné en une version dite « orbitale ». Ainsi, le R-36 peut devenir le R-36orb (8K69), et l'UR-200 peut être transformé en UR-200A (8K83).

Fig. 1 : Décollage d'un R-36orb.
Crédit : Novosti Kosmonavtiki.

Mais en 1964, pour des raisons principalement politiques, c'est finalement le R-36 qui est retenu. Le développement du « satellite » qui transportera la bombe est également confié à l'OKB-586. Il est baptisé « Tête orbitale » (Орбитальная Головная Часть), ou OGTch (prononcer O - Gua - Tcha).

Le programme d'essais en vol commence par quatre tirs balistiques du R-36orb, qui sont réalisés entre décembre 1965 et mai 1966 depuis les deux pas de tir de la zone n°67 de Baïkonour. A chaque fois, les missiles visent une cible au Kamtchatka, dans le champ de tir de Koura.

Mais les résultats ne sont pas très concluants. Lors des deux premiers essais, les OGTch ratent leurs cibles de plusieurs kilomètres. Pour le troisième essai, le missile R-36orb est détruit au sol suite à une erreur humaine, et la quatrième tentative ne réussit guère mieux, puisque l'OGTch ne se sépare pas correctement du missile.

Malgré le maigre bilan des essais balistiques, l'OKB-586 décide tout de même de passer à l'étape suivante, à savoir les essais de mise en orbite. Quinze lancements sont prévus, tous en direction d'une cible située à Novaïa Kazanka, à environ 1000km à l'ouest de Baïkonour. Ainsi, les OGTch seront désorbités avant d'avoir bouclé un tour de Terre, ce qui permettra de contourner les accords internationaux qui interdisent de placer des armes nucléaires en orbite,

Pour ces essais orbitaux, les R-36orb ne seront pas lancés depuis les pas de tir de la zone 67, mais depuis de nouveaux silos situés dans les zones 161 et 162.

Les deux premières tentatives de mise en orbite de l'OGTch ont lieu en septembre et novembre 1966, mais elles échouent suite à un mauvais fonctionnement du deuxième étage du missile-lanceur R-36orb.

Le premier succès intervient en janvier 1967. Neuf autres essais sont réalisés jusqu'au mois d'octobre 1967, avec des résultats mitigés. L'OKB-586 décide, conjointement avec les militaires, d'apporter des modifications sur le système propulsif de l'OGTch. Trois nouveaux lancements sont réalisés en avril et mai 1968 pour valider les améliorations. Le premier vise l'orbite, mais les deux autres sont balistiques et ne visent pas le Kamtchatka mais une cible située sur l'équateur.

Fig. 2 : Un OGTch.
Crédit : Конюхов / Ракеты и Космические аппараты КБ Южное.

Deux autres essais ont lieu en octobre 1968 et septembre 1969, puis le système est officiellement accepté en service opérationnel au sein de l'Armée rouge le 19 novembre 1969. Deux tirs d'essais sont encore réalisés en 1970.

Un OGTch est lancé en août 1971 dans le cadre d'un exercice grandeur nature. Un autre lancement, prévu pour 1972, est finalement annulé car le système est jugé suffisamment fiable.

Mais lors de cette période du début des années 1970, les Etats-Unis mettent en place leur réseau de satellites d'alerte avancée DSP, qui leur permet désormais de détecter très rapidement les lancements de missiles balistiques soviétiques.

L'URSS lance simultanément son programme de satellites Oko, s'ils peuvent être détectés dès leur lancement, les OGTch perdent leur principal avantage.

Le 18 juin 1979, Jimmy CARTER et Leonid BREZHNEV signent l'accord de désarmement SALT 2, qui interdit le déploiement d'armes nucléaires en orbite. En conséquence, les OGTch sont retirés du service opérationnel en 1983, et les silos de lancement seront ensuite détruits.

2. Exploitation du système

Avec cette nouvelle arme dans son arsenal, l'Armée rouge doit mettre en place les moyens humains et matériels pour l'exploiter convenablement.

Une première unité - appelée Unité 21422 - a été créée à Baïkonour dès le 25 août 1969, avant même que l'OGTch ne soit déclaré opérationnel. Elle est équipée de six missiles R-36orb placés en alerte dans les silos des zones n°160 et 165 (sans leurs OGTch).

Le premier commandant de l'Unité 21422 est le lieutenant-colonel-ingénieur A.V. MILIAÏEV. Il sera succédé par T. KAPOUSTIANN, G.Ya. GOUMENIOUK et B.A. KOVALIOV.

Fig. 3 : A gauche : DOULIA et VOÏNOV, commandant de la section politique du cosmodrome.
A droite : KOUROUCHINE, commandant du cosmodrome.
Crédit : Novosti Kosmonavtiki.

Une nouvelle unité (n°14332) est créée le 5 décembre 1969, sous le commandement du lieutenant-colonel K.P. DOULIA. C'est la première unité réellement opérationnelle à mettre en œuvre l'OGTch.

Date Nom
1969 - 1972 K.P. DOULIA
1972 - 1974 V.P. LEBEDEV
1974 - 1980 Alekseï Mikhaïlovitch ROMANOV
1980 - 1982 Evgueni Dmitrievitch KOVALTCHOUK
1982 - 1983 Anatoli Pavlovitch BOTALOV
Tableau 1 : Liste des commandants de l'Unité 14332.

Une seconde unité opérationnelle (n°29432) est créée le 30 juin 1970 pour servir les six nouveaux silos des zones 191 à 196, qui viennent d'être construits. Une troisième et dernière unité (n°21648) est formée en 1971 et dispose des six silos des zones 241 à 246.

Les unités 14332, 29432 et 21648 sont intégrées à la 98ème Brigade de Missiles. En 1994, elles passent sous la responsabilité de la 31ème Armée de Missiles, basée à Orenbourg.

3. Infrastructures

Seul le cosmodrome de Baïkonour a été équipé pour recevoir les R-36orb. Il dispose de trois sites de lancement, comprenant chacun six silos :

- l'objet 401A, constitué des zones 160, 161, 162, 163, 164 et 165,
- l'objet 401B, constitué des zones 191, 192, 193, 194, 195 et 196,
- l'objet 401V, constitué des zones 241, 242, 243, 244, 245 et 246.

Ces dix-huit silos ont tous été détruits entre 1987 et 1988.

4. Descriptif technique

L'OGTch (8F021) a une masse au lancement de 1700kg. Comme on le voit sur la figure 3, il est constitué de deux parties :

- un étage de manœuvre (8F673), qui abrite les systèmes de propulsion et de guidage,
- un étage de rentrée (DZ-2), qui abrite la tête nucléaire.

Fig. 4 : Schéma de l'OGTch.
Crédit : Ракетный щит отечества.

Une fois l'OGTch en orbite, l'étage de manœuvre est responsable de l'orientation. Connaissant les coordonnées de la cible à atteindre, il décide de façon autonome l'instant précis où il effectue le freinage qui lui permettra de rentrer dans l'atmosphère. Il est pour cela équipé d'un système de navigation inertiel et d'un altimètre radar (RV-21).

Son moteur de freinage est un monochambre RD-854 (8D612) développé par l'OKB-586. Il fonctionne avec le couple UDMH/N2O4 et développe une poussée dans le vide de 7,7t. Quatre moteurs verniers sont utilisés pour l'orientation.

Fig. 5 : Le moteur RD-854.
Crédit : Encyclopedia Astronautica.

Fig. 6 : Un moteur RD-854.
Musée des RVSN de Piervomaïsk. Crédit : Nicolas PILLET.

Fig. 7 : Un 8F673 exposé au musée des RVSN de Vlasikha.
Crédit : DR.

5. Liste des lancements

Date Nom Cible Pas de tir
ou silo
Commentaire
1 16 décembre 1965 - Koura 67/21 Vol balistique
2 5 février 1966 - Koura 67/21 Vol balistique
3 15 mars 1966 - Koura 67/21 Vol balistique
4 19 mai 1966 - Koura 67/22 Vol balistique
5 17 septembre 1966 - Novaïa Kazanka 162/62 Echec partiel de la satellisation
6 2 novembre 1966 - Novaïa Kazanka 162/62 Echec partiel de la satellisation
7 25 janvier 1967 Cosmos 139 Novaïa Kazanka 162/62
8 22 mars 1967 - Novaïa Kazanka 161/61 Echec
9 17 mai 1967 Cosmos 160 Novaïa Kazanka 161/61
10 17 juillet 1967 Cosmos 169 Novaïa Kazanka 162/62
11 31 juillet 1967 Cosmos 170 Novaïa Kazanka 161/61
12 8 août 1967 Cosmos 171 Novaïa Kazanka 162/62
13 19 septembre 1967 Cosmos 178 Novaïa Kazanka 161/61
14 22 septembre 1967 Cosmos 179 Novaïa Kazanka 162/62
15 18 octobre 1967 Cosmos 183 Novaïa Kazanka 161/61
16 28 octobre 1967 Cosmos 187 Novaïa Kazanka 162/62
17 25 avril 1968 Cosmos 218 Novaïa Kazanka 162/62  
18 20 mai 1968 - Equateur 161/61 Vol balistique
19 27 mai 1968 - Equateur 161/61 Vol balistique
20 2 octobre 1968 Cosmos 244 Novaïa Kazanka 161/61  
21 15 septembre 1969 Cosmos 298 Novaïa Kazanka 191/66
22 28 juillet 1970 Cosmos 354 Novaïa Kazanka 191/66
23 25 septembre 1970 Cosmos 365 Novaïa Kazanka 161/61
24 8 août 1971 Cosmos 433 Novaïa Kazanka 161/61
Tableau 2 : Liste des essais en vol de l'OGTch.

Bibliographie

OUROUSSOV, O., « Космосы » для штурма Америки, Novosti Kosmonavtiki n°7-2000/8-2000


Dernière mise à jour : 14 août 2017