Soyouz | 28 novembre 1966Le 1er lanceur Soyouz (11A511 n°У15000-02) a décollé du pas de tir n°6 (17P32-6) de la zone n°31 du cosmodrome de Baïkonour le 28 novembre 1966 à 11h00'00,02" GMT. La charge utile était constituée du tout premier vaisseau Soyouz (11F615 n°2), qui donne ainsi son nom au nouveau lanceur 11A511. Historique du premier vol de SoyouzLe programme de vaisseau spatial Soyouz a été officiellement lancé en février 1965. Après une phase de développement tumultueuse, deux vaisseaux 7K-OK sont construits. La Commission d'Etat, dirigée par le général Kerim KERIMOV, décide à l'été 1966 de mener à bien une mission extrêmement ambitieuse : les deux vaisseaux seront envoyés dans l'Espace sans cosmonaute à bord, et ils devront réaliser un amarrage en mode automatique, ce qui n'a jamais été tenté. Les deux vaisseaux sont convoyés à Baïkonour en août 1966, et la Commission se réunit le 19 novembre suivant pour approuver le plan de vol. C'est l'ingénieur-cosmonaute Konstantin FEOKTISTOV qui fait le briefing : - le 7K-OK n°2, qui est équipé de
la partie active du système de rendez-vous Igla,
sera lancé en premier le 26 novembre; Finalement, les deux lancements sont reportés de quarante-huit heures, ils auront lieu les 28 et 29 novembre. La mise en place de la coiffe prend plus de temps, car celle-ci est plus longue que sur les précédents lanceurs, et la présence de la tour d'éjection SAS complexifie les opérations. La mise sur orbiteLe lanceur pour le premier vaisseau est transporté sur le pas de tir le 26 novembre 1966. Le lancement a lieu à l'heure prévue (à 0,2" près), et la séparation des blocs latéraux est visible à l'œil nu. Le 7K-OK n°2 est injecté sur orbite, et il est baptisé Cosmos 133. Cet événement marque le début d'une nouvelle ère dans l'Histoire du programme spatial soviétique. Dans le troisième tome de son ouvrage Des fusées et des hommes, Boris TCHERTOK écrira :
Mais les problèmes ne tardent pas à arriver. Tout d'abord, le lanceur a placé le vaisseau sur une orbite avec un périgée plus bas que prévu (181km x 232km x 51,9°), ce qui fait qu'il retombera naturellement après seulement 39 révolutions. Mais ce n'est pas le pire. Immédiatement après la séparation d'avec le lanceur, les moteurs d'approche et d'orientation (DPO) s'allument de manière inexpliquée. Au bout de 120", la pression dans les réservoirs passe de 340atm à seulement 38atm. La totalité des ergols est consommée en seulement quinze minutes, et le vaisseau est mis en rotation (2tr/min). Vers 22h00 GMT, Vassili MICHINE et le général KERIMOV ordonnent de stopper la préparation du vaisseau 7K-OK n°1. Bien qu'il soit déjà intégré au lanceur, ce n'est pas la peine de l'emmener sur le pas de tir, car il est maintenant clair que, sans les DPO, l'amarrage ne pourra pas être mené à bien. D'autre part, TCHERTOK va mettre sur pieds un nouveau programme de vol pour Cosmos 133. Pendant ce temps, BOUCHOUÏEV, FEOKTISTOV et RAOUCHENBAKH vont tenter de déterminer ce qui est arrivé aux DPO. Ce système est crucial pour revenir sur Terre, car c'est lui qui oriente convenablement le vaisseau lors du fonctionnement du moteur principal SKD, qui dure une centaine de secondes. Maintenant que ses réservoirs sont vides, il va falloir trouver une solution pour rapatrier le vaisseau sur Terre, car si rien n'est fait il retombera par lui-même sans être orienté et sera détruit. SolutionsEn attendant de trouver une solution au problème d'orientation, les ingénieurs testent les différents systèmes de Cosmos 133, et s'aperçoivent qu'ils fonctionnent tous parfaitement, ce qui est très encourageant. Lors de la quinzième orbite, le système de télémétrie Tral tombe en panne. Les communications avec le vaisseau doivent donc passer par le système de secours BR-9. Youri GAGARINE est présent dans le centre de contrôle de Baïkonour, dans la zone n°2. Boris TCHERTOK se rappelle de la tristesse du premier cosmonaute :
Les moteurs DPO servent également à contrôler l'orientation du vaisseau pendant le fonctionnement du moteur principal SKD. Sans les DPO, il est donc impossible de réaliser la manœuvre de freinage qui permettrait au vaisseau d'amorcer sa rentrée dans l'atmosphère. Le SKD est redondé par un moteur de secours, le DKD, qui est capable de contrôler lui-même l'orientation du vaisseau grâce à quatre petites tuyères. Il peut donc assurer la rentrée dans l'atmosphère même en cas d'indisponibilité des DPO. Mais quand un test du DKD est réalisé, les ingénieurs s'aperçoivent qu'il fonctionne correctement, mais à l'envers ! Les gyroscopes envoient la bonne commande au moteur, celui-ci s'allume, mais le vaisseau réagit dans la direction opposée à ce qu'il devrait. Après une rude discussion, il s'avère que les ingénieurs de l'OKB-2, responsable du développement du DKD, ont tout bonnement inversé la polarité de la commande du moteur. Le premier vaisseau spatial soviétique de nouvelle génération est bloqué en orbite à cause d'une erreur de signe ! La même erreur avait été commise sur les DPO, qui auraient donc été inutilisables même si ses réservoirs ne s'étaient pas vidés. Le seul moyen pour orienter le vaisseau lors du fonctionnement du SKD est d'utiliser les moteurs d'orientation (DO). Ils ont une poussée très faible, et ne sont pas conçus pour fonctionner pendant de longues durées, et il va donc falloir enclencher le SKD par petites périodes de 10 à 15 secondes. Grâce aux DO et au système d'orientation solaire (ASO), l'orientation devrait pouvoir être maintenue au cours de ces courtes phases de fonctionnement, et leur effet cumulé sera équivalent à une combustion d'environ 100 secondes. La manœuvre est tentée lors de la 17ème orbite, mais les ingénieurs ne sont pas certains que la commande a été correctement envoyée, et sur ordre de MICHINE ils n'envoient pas l'ordre d'allumage du SKD (la télémétrie montrera plus tard que tout avait en fait été bien transmis). Lors des orbites n°18 et n°19, ils tentent encore une fois d'orienter le vaisseau en utilisant ses capteurs ioniques, mais n'ont aucune réponse. Ensuite, la situation va encore s'aggraver puisque le vaisseau ne sera pas dans une zone de visibilité radio entre les orbites 21 et 29. Or, d'ici là il aura commencé à approcher dangereusement des couches supérieures de l'atmosphère. Le centre de commande envoie donc l'ordre de rehausser l'orbite, mais n'a toujours aucune réponse en retour. Lors de l'orbite 29, soit le matin du 30 novembre, la télémétrie est à nouveau reçue. Les données montrent que les deux tentatives de retour (orbites 18 et 19) et la tentative de rehausse ont bien été reçues. Mais le SKD n'a fonctionné que 10" lors du premier allumage, 13" lors du deuxième, et 20" lors du troisième. Le moteur a visiblement généré de fortes oscillations angulaires qui ont provoqué son arrêt automatique. ConclusionAu cours de l'orbite n°32, le centre de commande envoie à nouveau un ordre d'allumage du SKD en utilisant les capteurs ioniques pour l'orientation. Le vaisseau devra atterrir lors de l'orbite 33, ou réaliser une seconde tentative pour atterrir lors de l'orbite 34. La 33ème orbite se déroule, mais le vaisseau n'atterrit pas, car le fonctionnement du SKD est à nouveau interrompu prématurément. Lors de l'orbite 34, en revanche, le moteur fonctionne correctement, et le vaisseau amorce sa rentrée sans l'atmosphère. Les radars de la Défense anti-aérienne (PVO) repèrent le vaisseau au-dessus des villes de Krasnodar, Gouriev, Aktioubé, puis à 200km au sud-est de Orsk. Pour une raison inconnue, Cosmos 133 n'utilise pas le parachute primaire (OSP) du système d'atterrissage (KSP), mais son parachute secondaire (ZSP). Fig. 1 : Positions des différents points où Cosmos 133 a été repéré lors de sa rentrée. Là, les militaires perdent sa trace. De nombreux avions et hélicoptères sont envoyés dans la région d'Orsk afin de repérer d'éventuels fragments, mais sans succès. L'enquêteQuatre commissions d'enquêtes différentes sont formées après l'échec de la récupération de Cosmos 133. Elles devront étudier les causes de trois défaillances majeures : - la perte du système
DPO Le 6 décembre, le NII-4 indique que selon ses calculs, le vaisseau est passé au-dessus d'Orsk à une altitude comprise ente 70km et 100km. Voyant que la trajectoire n'était pas bonne, le système d'autodestruction APO s'est probablement actionné. Si c'est bien le cas, des débris ont dû retomber au large des îles Mariannes, dans l'océan Pacifique. La mission n'est pas un échec complet, car les systèmes du vaisseau ont pu être testés, et la plupart ont très bien fonctionné. De plus, si un cosmonaute avait été à bord, le système APO ne se serait pas déclenché, et la récupération aurait été un succès. Les commissions d'enquêtes remettent leurs conclusions le 8 décembre. Selon elles, les défaillances rencontrées sur le premier Soyouz ne sont pas des erreurs de conception, mais sont dues à une mauvaise campagne d'essais et à un mauvais contrôle qualité. Aux Etats-Unis, les experts du renseignement de la CIA ont très bien compris que Cosmos 133 n'était pas un satellite scientifique. Un rapport du 9 décembre 1966, aujourd'hui partiellement déclassifié, indique qu'il s'agit probablement d'un nouveau vaisseau habité. Au début de l'année 1966, lors du développement du 7K-OK, un ingénieur avait indiqué à Konstantin FEOKTISTOV que les tuyères des moteurs DPO, dans leur position actuelle, risquaient d'endommager les panneaux solaires. FEOKTISTOV avait donc décidé de les tourner à 180°. Mais il fallait inverser aussi les commandes des moteurs, afin de conserver le même moment cinétique. FEOKTISTOV envoya alors une note à Viktor LEGOSTAÏEV, qui parla du problème à Igor CHMIGLEVSKI. Celui-ci conclut qu'il fallait effectivement modifier le boîtier de commande du DPO (appelé BVDPO), et il chargea Boris NEVZOROV de diriger ces modifications. Ce dernier envoya des instructions au département de Semion TCHIZHIKOV, mais quand elles parvinrent aux ingénieurs concernés, le BVDPO était déjà monté sur le vaisseau. Pour le démonter, il fallait l'autorisation de l'ingénieur Alekseï TOPOL, qui se mis très en colère quand il apprit que des modifications majeures lui étaient notifiées aussi tardivement. Il demanda à son adjoint, Youri SEMIONOV de déterminer pourquoi on l'avait prévenu si tard. SEMIONOV découvrit alors que la modification avait passé pas moins de deux mois dans les méandres de l'administration. C'est Boris NEVZOROV qui avait finalement été désigné responsable de ce délai inacceptable, et le 14 mai 1966 il avait été sévèrement réprimandé. Mais malgré cela, il semblerait qu'au final la modification demandée par FEOKTISTOV n'ait pas été appliquée sur le 7K-OK n°2. Bibliographie[1] KAMANINE, N., Скрытый космос, vol.
3 Dernière mise à jour : 14 mars 2013 |
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