Intercosmos | Histoire

Intercosmos était un programme de coopération internationale mené par l'Union soviétique à partir des années 1960. Ses objectifs étaient avant tout politiques : il s'agissait alors d'établir de bonnes relations avec les pays d'Europe de l'Est.

1. La mise en place

Tout commence en novembre 1965, quand l'Union soviétique décide de réunir huit pays communistes pour discuter du contenu, de la forme, et des objectifs d'une éventuelle collaboration dans le domaine spatial. Ces pays sont l'Allemagne de l'Est, la Bulgarie, Cuba, la Hongrie, la Mongolie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

Six mois plus tard, le 30 mai 1966, on assiste à Moscou à la création d'un « Conseil pour la collaboration internationale dans l'exploration pacifique de l'Espace », placé sous la responsabilité de l'Académie des Sciences d'Union soviétique, et dirigé par l'Académicien Boris PETROV. De même, dans chacun des neuf pays, un organisme est créé afin de s'atteler à mettre en place un programme scientifique.

Fig. 1 : L'Académicien Boris Nikolaïevitch PETROV (1913 - 1980).
Crédit : RIA Novosti.

En avril 1967, les neuf Etats signent une convention afin de concrétiser les projets de collaboration. C'est la naissance du plus grand programme de coopération spatiale de l'Histoire, qui sera baptisé « Intercosmos » en 1970, lors d'un sommet à Wroclaw, en Pologne.

Fig. 2 : Le logo du programme Intercosmos.
Crédit : Космонавтика СССР.

Il concernera cinq domaines d'étude : la physique, la météorologie, la biologie et la médecine, les télécommunications spatiales et l'étude des ressources naturelles de la Terre et la protection de son environnement (ce dernier domaine ne sera inscrit au cahier des charges qu'en 1976). Au mois de mai 1979, le Vietnam devient le dixième pays de la communauté Intercosmos.

Fig. 3 : Les dix Nations du programme Intercosmos.
De gauche à droite : la Bulgarie, la Hongrie, le Vietnam, l'Allemagne de l'Est, Cuba,
la Mongolie, la Pologne, la Roumanie, l'Union soviétique, et la Tchécoslovaquie.
Crédit : Космонавтика СССР.

On notera que, de manière confuse, le comité de l'Union soviétique chargé de superviser ces activités est lui aussi baptisé « Intercosmos ». Cette subtilité génèrera de nombreuses erreurs, car le comité mènera à bien certains programmes de coopérations bilatérales sans lien avec le programme Intercosmos. Par exemple, la mission PVH de Jean-Loup CHRETIEN (1982) a souvent été considérée comme faisant partie du programme Intercosmos, ce qui n'est pas du tout le cas.

2. Les fusées-sondes

Dans le cadre du programme Intercosmos, l'Union soviétique tire quelques fusées météorologiques M-100 et MR-12 au profit des Etats coopérants. Les lancements ont lieu depuis le navire scientifique Akademik Koroliov.

Fig. 4 : Fusées M-100 et V-5V.
Crédit : DR.

D'autre part, onze vols sont réalisés dans le cadre du sous-programme Vertikal, à l'aide de fusées-sondes V-5 et V-3A, dérivées respectivement des R-5 et R-14. Ces vols suborbitaux sont menés à bien à partir de la base de Kapoustine Yar.

3. Les satellites scientifiques

Depuis 1961, l'Union soviétique mène un vaste programme scientifique au moyen de petits satellites appelés DS. Construits par l'OKB-586 de Dniepropetrovsk (DS signifie « Satellite de Dniepropetrovsk »), ils ont une masse comprise entre 47kg et 260kg et peuvent être mis en orbite par des lanceurs Cosmos-2 (11K63) ou Cosmos-3M (11K65M).

Les DS existent en trois versions différentes : DS-U1, DS-U2 et DS-U3. En 1965, l'OKB-586 lance le développement d'un dérivé de chacune de ces versions pour le programme Intercosmos. Ce projet est placé sous la direction de V. TCHOUTKINE.

Les nouveaux satellites internationaux sont baptisés DS-U1-IK, DS-U2-IK et DS-U3-IK (IK signifiant Intercosmos, en Russe Интеркосмос). D'autre part, un autre dérivé est développé pour le programme international : il est appelé DS-U2-GK.

Le premier satellite du programme Intercosmos décolle de Plesetsk le 19 décembre 1968. Il s'agit d'un DS-U2-GK, qui est baptisé officiellement Cosmos 261. Près d'un an plus tard, le premier satellite de la famille « IK » est mis en orbite, et il est désigné Intercosmos-1.

Fig. 5 : Le 13 octobre 1969, la veille du lancement d'Intercosmos-1,
Boris PETROV s'adresse aux représentants
des organismes de coordination des pays membres.
Crédit : Космонавтика СССР.

De nombreux autres lancements suivront, et les satellites DS du programme Intercosmos permettent aux pays du « bloc de l'Est » de mener à bien des recherches scientifiques de très haut niveau à moindre frais.

En effet, le programme Intercosmos ne dispose pas de budget commun. Chaque pays possède son budget propre, construit ses équipements et les fournit à l'Union soviétique. Celle-ci est chargée de les intégrer à un satellite et de les lancer.

Les investissements de chacun des Etats sont très variables, et c'est la République Démocratique Allemande qui fournit la plus grosse contribution. Durant la seule période allant de la fin des années 1960 au milieu des années 1970, elle participe en effet à plus de cinquante expériences.

Fig. 6 : Préparation du satellite Intercosmos-20 à Plesetsk.
Crédit : Космонавтика СССР.

En 1972, le ministère en charge de l'Espace (le MOM) lance le développement d'un nouveau type de satellites : les AUOS. Toujours conçus par l'OKB-586, ils devront succéder aux DS et permettre d'emporter des charges scientifiques considérablement plus grosses.

Comme pour la génération précédente, un certain nombre de ces appareils est affecté au programme Intercosmos. En juin 1976, Intercosmos-15 est le premier AUOS embarquant des instruments internationaux. Deux ans plus tard, en 1978, Intercosmos-18 emporte avec lui un petit satellite tchécoslovaque appelé Magion qui se séparera une fois en orbite. Une telle expérience sera renouvelée en 1989 et 1991.

Fig. 7 : Au Ministère des Affaires Etrangères d'Union soviétique,
conférence de presse pour les vingt ans du programme Intercosmos, 8 avril 1987.
De gauche à droite : N.A. ARMAND, A.P. METALNIKOV, Y.B. ZOUBAREV,
V.A. KOTELNIKOV, Y.A. GREMITCKIKH, P.I. KLIMOUK, N.S. KARDACHIOV et A.I. GRIGORIEV.
Crédit : RIA Novosti.

En 1981, un satellite Intercosmos est entièrement équipé par la Bulgarie, ce qui lui vaudra d'être baptisé Bolgaria-1300. La même année, la France s'invite dans le programme Intercosmos en participant au satellite Oreol-3. Elle était déjà présente sur Oreol-1 et -2, mais ces missions ne faisaient pas partie d'Intercosmos.

L'Union soviétique se disloque à la fin 1991. Au-delà de cette date, un dernier satellite est lancé dans le cadre d'Intercosmos en 1994, puis le programme se termine.

4. Les vols habités

Le lancement et l'exploitation des satellites Intercosmos est un immense succès. Outre le bénéfice scientifique évident que les pays coopérants en retirent, le programme permet à l'Union soviétique de mettre en exergue le système communiste.

Mais tout le monde s'accorde à dire que la partie la plus spectaculaire du programme spatial reste le vol habité. En 1975, l'URSS a exploité avec succès sa station orbitale Saliout-4, et elle prévoit de lancer prochainement sa remplaçante, Saliout-6. Celle-ci disposera de deux pièces d'amarrage, ce qui permettra aux équipages principaux de recevoir des visites.

Fig. 8 : Vue d'artiste de Saliout-6 en orbite.
Un vaisseau Soyouz y est amarré, un autre est en approche.
Crédit : DR.

Voilà une belle occasion d'élever le programme Intercosmos à un stade supérieur. Le 13 juillet 1976, à Moscou, les gouvernements des neuf pays membres (le Vietnam n'en fait pas encore partie) signent un « accord intergouvernemental de collaboration dans l'exploration pacifique de l'Espace ».

Ce document autorise la participation des pays membres aux vols habités soviétiques : chaque pays pourra envoyer gratuitement l'un de ses ressortissants sur un vaisseau Soyouz. Moscou impose seulement que les cosmonautes internationaux soient d'anciens pilotes militaires, car ceux-ci sont mieux préparés que quiconque à un vol spatial, du fait de leur entraînement.

Fig. 9 : A.P. ALEKSANDROV, Président de l'Académie des Sciences,
signe l'accord du 13 juillet 1976.
Derrière lui, on distingue notamment Boris PETROV, Mstislav KELDYCH et Vladimir CHATALOV.
Crédit : Космонавтика СССР.

Les responsables soviétiques avaient fixé un ordre de passage des différentes nations, en se basant sur des critères médicaux et psychologiques. Selon cet ordre, la Tchécoslovaquie et la Pologne devaient être les deux premiers à partir. Ensuite viendrait le tour de l'Allemagne de l'Est. Etant donné que c'est cette dernière qui a participé le plus activement au programme, il est clair qu'un tel ordre de passage a fortement déplu au gouvernement de RDA. Celui-ci a longuement insisté pour modifier l'ordre, mais les Russes s'en sont tenus à ce qui était prévu.

Parallèlement, aux Etats-Unis, la NASA veut elle aussi donner une image positive de son programme. Comme elle prépare les premières missions de sa navette spatiale, elle envisage d'offrir des places à des astronautes étrangers, notamment européens. L'annonce officielle de la sélection de ces « spécialistes de charge utile » est faite le 8 juillet 1976, cinq jours avant la signature de l'accord Intercosmos.

Fig. 10 : Des représentants des Etats coopérants visitent le TsPK, 14 juillet 1976.
Ils sont guidés par les cosmonautes NIKOLAÏEV, BEREGOVOÏ et CHATALOV.
Crédit : RGANTD.

Du côté soviétique, les vols internationaux commenceront en 1978 et se dérouleront de la manière suivante : un cosmonaute invité embarquera sur le siège de droite d'un vaisseau biplace Soyouz à destination de la station Saliout-6. Le vaisseau sera commandé par un cosmonaute soviétique, et la mission sera de courte durée (EP, ce qui signifie « expédition de visite »).

L'entraînement des cosmonautes internationaux durera environ dix-huit mois. Pour chaque vol, deux cosmonautes seront entraînés : un principal et un suppléant.

En décembre 1976, les six premiers cosmonautes étrangers arrivent au Centre d'Entraînement (TsPK). Il s'agit des représentants de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et de la République Démocratique d'Allemagne.

Pays Cosmonautes
Tchécoslovaquie Oldřich PELČÁK
Vladimír REMEK
Pologne Mirosław HERMASZEWSKI
Zenon JANKOWSKI
République Démocratique d'Allemagne Sigmund JÄHN
Eberhard KÖLLNER

Fig. 11 : Les cosmonautes internationaux dans la salle de cours du TsPK, en 1978.
On distingue JANKOWSKI, PELČÁK, REMEK, KÖLLNER et JÄHN.
Crédit : RGANTD.

C'est Vladimír REMEK qui, le 2 mars 1978, devient le premier cosmonaute non-russe et non-américain. Il décolle à bord du vaisseau Soyouz-28 en compagnie d'Alekseï GOUBAREV et effectue une mission de courte durée à bord de Saliout-6.

Fig. 12 : Les cosmonautes internationaux visitent la ville de Kalouga, en 1978.
Sont visibles sur les photos : LAZAREV, KOVALIONOK, JANKOWSKI, PELČÁK, REMEK, HERMASZEWSKI et JÄHN.
Crédit : RGANTD.

Fig. 13 : Les cosmonautes internationaux et leurs commandants soviétiques avec
Valentin GLOUCHKO, le Constructeur Principal de la NPO Energuia, 1978.
1er rang, de gauche à droite : ROUKAVICHNIKOV, PELČÁK, GLOUCHKO, REMEK, et GOUBAREV.
2nd rang : JÄHN, ELISSEÏEV, BYKOVSKI, KLIMOUK, LEONOV, KOUBASSOV, JANKOWSKI, GORBATKO, KÖLLNER.
Crédit : RGANTD.

Ce même mois de mars 1978, un deuxième groupe de cosmonautes internationaux se présente au TsPK pour commencer l'entraînement. Il s'agit des représentants de la Bulgarie, de Cuba, de la Hongrie, de la Mongolie et de la Roumanie.

Pays Cosmonautes
Bulgarie Aleksandr ALEKSANDROV
Gueorgui IVANOV
Cuba José Armando LÓPEZ FALCÓN
Arnaldo TAMAYO MÉNDEZ
Hongrie Béla MAGYARI
Bertalan FARKAS
Mongolie Zhougderdemidine GOURRAGTCHA
Maïdardzhavyn GANZORIG
Roumanie Dumitru DEDIU
Dumitru Dorin PRUNARIU

Les cosmonautes polonais et allemand volent respectivement sur Soyouz-30 et Soyouz-31 en 1978. Le vol suivant, en avril 1979, est celui du cosmonaute bulgare, mais le vaisseau Soyouz-33 ne parvient pas à s'amarrer à Saliout-6, et la mission est donc un échec.

En mai 1979, le Vietnam rejoint le programme Intercosmos. Pour des raisons politiques, le vol vietnamien devra avoir lieu juste après celui de la Hongrie. L'incident de Soyouz-33 tombe bien, car il reporte le vol hongrois à 1980, ce qui laisse le temps au cosmonaute vietnamien de s'entraîner.

Et effectivement, l'année 1980 voit se dérouler avec succès les vols hongrois, vietnamien et cubain. Ensuite, en 1981, c'est au tour de la Mongolie et de la Roumanie de réaliser leurs vols spatiaux.